
Les contrats au Gabon, c’est presque une roulette de jeux déjà pipés. Les grands contrats obtenus à l’issue des appels d’offres échoient principalement aux entreprises parapubliques ou françaises dont la majorité est regroupée au sein de la Confédération patronale gabonaise (CPG) qui regroupe plus de 240 sociétés et brasse un chiffre d’affaires annuel moyen de plus de 2200 milliards de francs CFA, au détriment parfois des opérateurs économiques locaux, à la remorque, qui ont toujours réclamé une meilleure distribution des marchés de la part du gouvernement.
« Entre la réponse à un appel d’offres, l’ouverture des plis et l’attribution des marchés, c’est le parcours du combattant. Les fuites sont fréquentes, car des réajustements de propositions sont opérés durant le processus sans que la confidentialité soit respectée », témoigne pour Confidentiel Afrique M. Pascal Mbourou, propriétaire d’une menuiserie spécialisée dans la livraison des tables-banc pour les écoles primaires et les établissements secondaires du Gabon. Il était persuadé d’avoir proposé une meilleure cotation pour un appel d’offres national de mobilier scolaire qu’il a finalement perdu.
« Je travaille depuis plusieurs années dans le secteur du bois et j’en maîtrise les différentes étapes, de la coupe à la fabrication du produit fini. Pourtant, un employé de la Chambre du Commerce et de l’Industrie du Gabon m’avait assuré que ma proposition était inégalée car la moins chère sur le marché et j’ai dû consolider mes acquis moyennant un pourboire de cinq millions de francs CFA qui ne semble pas avoir été suffisant… », déplore M. Mbourou.
Il ajoute que « les enchères montent vite et mes concurrents qui avaient dû prendre connaissance de mon offre à mon insu, ont remporté le marché avec certainement la complicité d’un des membres de la commission des offres. Au Gabon, la marché revient au plus offrant avec le danger de ne pas pouvoir livrer un travail conforme ou de s’endetter. Certains membres de la commission s’enrichissent ainsi illégalement (…) et nous en faisons les frais ! ».
Les routes et le bâtiment sont les secteurs les plus juteux
Les marché les plus difficiles à obtenir pour les Petites et moyennes entreprises (PME) sont ceux qui relèvent du réseau routier car le kilomètre de route bitumé construit dépasse aujourd’hui le milliard de francs CFA au Gabon. La plupart des grandes entreprises des BTP répartissent leur capital de manière à ce qu’un haut fonctionnaire en fasse partie. Et mieux encore, ce sont d’éminentes personnalités politiques, au pouvoir, qui canalisent les appels d’offres tout en défendant leurs intérêts. Quoi d’étrange que les routes soient refaites tous les deux ou trois ans avec des matériaux inadaptés aux pluies qui rythment les saisons huit mois sur douze…
Les activités dans les secteurs du bâtiment et des TP connaissent depuis peu des difficultés et même les entreprises publiques n’arrivent pas à finaliser leurs travaux de construction. D’où de nombreux chantiers abandonnés victimes des « arrangements onéreux » qui pénalisent l’aboutissement des projets. Dans ces secteurs, les marchés s’élèvent à plusieurs milliards de francs CFA.
La plupart des routes dont une bonne partie est en mauvais état dans les quartiers populaires n’ont pas été convenablement construites en respectant certaines normes. Plusieurs sociétés du secteur du bâtiment, sans expertise, se sont exercées pour construire des routes et des ponts car jouissant d’un monopole certain à cause d’une absence de concurrence entretenue.
« Les marchés sur les produits métalliques, les machines et équipements industriels, le secteur de l’impression et la publication des ouvrages sont le monopole des entreprises françaises associées à des personnes physiques du privé alors que ces opportunités devraient revenir aux PME et Petites et moyennes industries (PMI) gabonaises », s’exclame Sylvain Kodjo, propriétaire d’une petite imprimerie de la banlieue de Libreville.
La complicité des hauts fonctionnaires freine le développement du pays
Un audit lancé par le ministère de l’Economie et des Finances visant à assainir les finances publiques du pays, à la demande de la Banque mondiale (BM), a révélé que plusieurs sociétés ont été prises en flagrant délit de surfacturation dans les marchés attribués par l’Etat et ont été invitées à rembourser le trop perçu.
Mais la longue chaîne de corruption dans l’administration gabonaise est responsable de préjudices estimés à plusieurs centaines de milliards de francs CFA, car l’absence de transparence dans les appels d’offres et les pratiques de pots de vin entretenues par des dirigeants d’entreprises ont finalement mis un pan du pays à genoux, plusieurs sociétés ayant même été totalement réglées sans avoir débuté les travaux plusieurs années après.
Devant cet état de faits, très peu d’entreprises gabonaises s’aventurent aujourd’hui à répondre à des appels d’offres, car avant leur lancement, les jeux sont généralement déjà faits. Un bon dossier et une offre financière, cohérente, ne suffisent plus pour contourner les innombrables difficultés qui sont responsables de la fermeture des entreprises privées ayant accumulé des dettes importantes au cours de leur phase de lancement.
Enquête réalisée par Hugues Desormaux
RSS