Un mouvement de grande importance, mais qui à l’évidence peut surprendre y compris des observateurs avisés, a chamboulé la direction de cet organisme chargé de la gestion et de la supervision des consultations électorales et référendaires. Une surprise d’autant qu’il intervient moins de cinq mois avant la prochaine élection présidentielle, et aussi à quatre mois avant les élections municipales et législatives. En décidant de porter à la tête d’ELECAM Erik Essousse, précédemment directeur général adjoint de la dite institution, en remplacement d’Abdoulaye Babale, lequel a pris le contre-pied de certains adjuvants, même s’il est évident que ce sont des réseaux qui se battent autour du président de la République pour la succession à la tête du pays qui se sont neutralisés.
Erik Essousse aux manettes
Et pour cause, le nouveau directeur général est réputé proche du ministre d’Etat, ministre de la Justice et Garde des Sceaux, Laurent Esso, souvent cité parmi les « favoris » pour la succession de Paul Biya. Les deux qui sont originaires de la région du Littoral n’en sont pas moins proches sur le plan sociologique. En tout cas, c’est une personne fiable pour contrer le président du conseil électoral, Enow Abrahams Egbe, cet anglophone, ancien gouverneur de région, présenté comme proche de Marafa Hamidou Yaya, l’ancien scribe de Paul Biya, alors ministre d’Etat secrétaire général de la présidence de la République (SGPR) et ex ministre d’Etat chargé de l’Administration territoriale et de la Décentralisation (MINATD). Pour rappel, cet ancien poids lourd du régime Biya, est en délicatesse avec le pouvoir actuel qui purge une peine de 20 ans à la prison de haute sécurité du Secrétariat d’Etat à la Défense (SED) chargé de la gendarmerie.
Abdoul BAGUI prend du galon
En bon stratège, Paul Biya a nommé un autre proche de Marafa – mais aux manœuvres réduites- à la direction générale adjoint d’ELECAM, Abdoul Bagui. Pour certains analystes, l’ancien DG d’ELECAM et ancien ministre de l’Enseignement supérieur (MINESUP) Abdoulaye BABALE, qu’on annonçait à certains moments à la Primature, – en concurrence alors avec Marafa – n’aurait pas compris que la déstructuration de l’axe Nord-Sud est plus que jamais en marche. Paul Biya selon toute vraisemblance, se méfie de plus en plus des ethnies majoritaires pour sa succession. Voilà qui pourrait remettre en selle l’ancien secrétaire général du Comité central du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC, au pouvoir) et ancien ministre de l’Administration territoriale et de la Décentralisation, René Emmanuel Sadi, lequel se contente d’ailleurs depuis le réaménagement gouvernemental du 2 mars dernier, du maroquin ministère chargé de Mission à la présidence de la République.
Quoi qu’il en soit, certains analystes dans les salons dorés de Yaoundé et de Douala y voient une corrélation entre des changements à ELECAM et la sortie de l’ambassadeur des Etats-Unis au Cameroun qui a cru bon de « suggérer » le 18 mai 2018 au Président Paul Biya de quitter le pouvoir. Aurait-il tenté de convaincre le directeur général d’ELECAM de « saboter » le processus électoral ? Le Conseil électoral qui a accusé le DG d’ELECAM de « faute lourde »au cours d’un conseil extraordinaire le 25 mai dernier n’a-t-il pas fait usage d’un doux euphémisme ? Des sources médiatiques annonçant Abdoulaye Babale au Tribunal criminel spécial (TCS) pour détournement présumé de 3 milliards de francs CFA sont-elles fiables ? Y a-t-il des relations de causes à effets entre les déclarations de l’ambassadeur des Etats-Unis et la « faute lourde » du DG d’ELECAM ?
Toujours est-il que dans une correspondance que lui adressent quatre membres du Congrès le 9 janvier 2018, ceux-ci donnent une idée de la perception que le pays de l’Oncle Sam a du Cameroun sous Paul Biya. Chillie Pingree(élue démocrate de 63 ans), Eliot L. Engel (élu démocrate, 71 ans), Lee Zeldin (élu républicain 38 ans) et Jamie Raskin (élu démocrate 55 ans) écrivent au diplomate américain: « Nous respectons le droit des Camerounais à se choisir leurs leaders. Mais nous faisons remarquer que toutes les élections présidentielles antérieures ont été émaillées de fraudes ».
Prétendues accointances
Des prétendues accointances du diplomate américain avec des leaders de la société civile et d’opposition à l’instar de l’archevêque de Douala, le Cardinal Christian Tumi, ou de l’ancien vice-président de Transparency international (TI) le bâtonnier Akeré Tabeng Muna – tous deux anglophones – et candidat déclaré à l’élection présidentielle d’octobre prochain pour le dernier, auraient poussé le président à nommer de nouveaux dirigeants à la tête d’ELECAM. Au demeurant, le ministre des Relations extérieures (MINREX) Lejeune Mbella Mbella – proche de Laurent Esso- qui a convoqué l’ambassadeur des Etats-Unis n’a pas manqué de lui dire avec fermeté que sa démarche « viole tous les usages diplomatiques en la matière ainsi que les règles de civilité et de droit », lui qui devra apprendre « à respecter le peuple camerounais, notamment sa liberté souveraine dans le choix de ses dirigeants » parce que « le Cameroun ne se fera jamais imposer un candidat de l’extérieur ». Ce dernier qui a été rappelé dans son pays par l’administration de Donald Trump pour « consultation » saura désormais sur quel pied danser. Une chose est sûre, cette incartade de l’ambassadeur des Etats-Unis a débouché depuis la semaine dernière, sur des appels à candidature de Paul Biya, âgé de 85 ans, dont bientôt 36 ans passés au pouvoir.
Youssouf COULIBALY avec William Giovani BALLOUA, à Yaoundé
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