Le Sommet de la ZLEC qui s’est tenu le 21 mars dernier à Kigali a servi de cadre de partage d’expériences entre des entrepreneurs africains et la jeunesse africaine. Le PDG du Groupe Wari, le sénégalais Kabirou MBODJE était parmi les grands invités de la table ronde autour de la thématique : » Innovation, Technologie, Commerce intra-africain » aux côtés du Fondateur du holding Mara Group et Mara Fondation, l’Ougandais, Ashish Thakkar, de Jean Philibert Nsengimana, Conseiller Spécial des Petites et moyennes Entreprises du Rwanda, ancien ministre des Technologies et ICT du Rwanda, de Mukhisa Kituyi, Secrétaire Général UN Conference on Trade and Development (UNCTAD). On peut noter aussi la participation remarquable et pertinente à ce panel du Vice- Président de la République de Côte d’Ivoire, Daniel Kablan Duncan.
Modérateur du panel: Julie Gichuru, Entrepreneur & Media Personality, Kenya :
Kabirou, vous avez une plateforme qui transforme le quotidien des populations. Grâce au digital, vous renforcez l’inclusion financière. Parlez-nous de votre expérience et dites-nous comment nous pouvons améliorer l’ouverture du continent africain ?
En dépit de l’image renvoyée par l’Afrique au reste du monde, le continent africain a toujours été en avance. L’union africaine a commencé bien avant l’Union Européenne, l’ALENA et autres organisations continentales. Mais nous ne tirons pas profit de cela.
L’Afrique est en avance sur le futur des emplois. Je parle souvent de cycles, du fait que les populations cherchent à être employés et recevoir un salaire. Mais le futur de l’emploi, grâce au digital, sera que chaque personne travaillera pour son compte au sein de l’entreprise et éventuellement travaillera pour plusieurs entreprises. De 8h a 10h pour l’une, de 10h a 12h pour une l’autre etc., C’est le futur des emplois dans le monde.
L’Afrique est en train de le faire en ce moment. Aujourd’hui, nous avons des entrepreneurs partout en Afrique. C’est le minimum commun. Tout le monde a son propre emploi. Même quand vous êtes employé de l’administration, vous avez votre propre emploi en parallèle.
Modérateur : « C’est la débrouille »
KM : « Vous l’appelez la débrouille mais en économie cela s’appelle la flexibilité. C’est un atout qui devrait être un levier de développement. Mais pour permettre cela, nous devons être connectés. Smart Africa travaille aussi à faire de cela une réalité.
L’inclusion financière ne veut pas dire posséder un wallet ou avoir accès au mobile money aux autres services offerts par banques qui customisent des produits destinés au marché européen, en pensant que cela pourrait fonctionner en Afrique.
L’inclusion financière est constituée de 5 piliers :
1. Quand je produis quelque chose, je dois pouvoir le vendre a quelqu’un
2. Quand je le vends, je dois pouvoir recevoir cet argent pour l’utiliser
3. Quand j’ai de l’argent, je dois consommer (services, produits etc.)
4. Une fois que j ‘ai consommé, et qu’il me reste de l’argent, je dois pouvoir épargner
5. Et finalement je dois avoir un service a ma disposition pour pouvoir investir
Nous en abordons que quelques éléments mais pour pouvoir faire cela, nous devons contrôler nos informations économiques. Aujourd’hui, nous ne savons pas ce qui se passe au Tchad, quels sont les besoins au Rwanda, au Mozambique, ou en Afrique Centrale. Nous devons être interconnectés pour optimiser le potentiel intérieur du continent.
Trouver de l’argent pour investir dans un tel système est la dernière étape du processus. Nous devons faciliter les lois pour aider les entrepreneurs à ouvrir la voie et investir. Nous devons avoir une plateforme centralisée.
Aujourd’hui seul 10 a 25 % des échanges se font intra Afrique. Nous sommes 55 pays maintenant avec environ 30 monnaies différentes qui ne sont pas convertibles entre elles. Ceci rend le commerce et les échanges directs impossibles. Nous parlons de signer des traités etc. mais nous devons poser également les bases des échanges intra-Afrique. Nous sommes obligés de passer par l’euro ou le dollar pour commercer. Chaque pays gère sa réserve de monnaie et n’en a pas assez pour échanger avec son voisin. Voilà le principal problème. »
Modérateur : Quelles sont les compétences que vous souhaitez voir ? Que devons nous faire pour nous assurer que nous investissons dans la recherche et le développement ?
Quelles solutions proposez-vous pour rétrécir le gap des étudiants qui, au sortir de leurs études, ne possèdent pas forcément les compétences nécessaires ? »
KM : « Le numérique doit être au cœur des politiques nationales notamment par la facilitation de l’accès au matériel informatique, smartphones etc., et de l’internet, aux populations et professionnels, au moindre coût.
Un autre point que je souhaiterais souligner par ailleurs, est que la plus grande erreur que nous faisons est de croire que les telcos développeront le futur des économies. Exemple :
Mpesa est un succès en Afrique de l’Est. Mais Mpesa est né d’un échec qui a poussé Safaricom à promouvoir l’inclusion financière. Pourquoi? Car le Kenya est fortement digitalisé. Les taxis, commerces, administrations, tous sont connectés à une seule plateforme centralisée.
Les telcos créent le monopole et tuent les initiatives : elles utilisent l’avantage concurrentiel de leur connectivité et des incentives client via le airtime, pour lesquelles elles ont un monopole pour exercer une activité autre que celle d’un telco, à travers le mobile money.
Nous parlons de mobile money comme d’une panacée mais le mobile devrait rester mobile, tel que cela existe au Nigeria, où il n’est pas permis aux telcos d’offrir des services financiers. Chaque fois qu’un nouveau projet verra le jour, l’opérateur le tuera car cela va contre ses intérêts.
Ce que nous devons faire pour créer ce marché unique est de standardiser notre système, construire la confiance, promouvoir nos propres initiatives et croire en nous même.
Pourquoi devons-nous forcément utiliser le Swift quand nous souhaitons transférer de l’argent du Sénégal au Mali?.
Il y a des initiatives comme Visa et Mastercard et nous Wari, sommes en train de construire notre propre système pour permettre de nous connecter tous ensemble.
Cela ne peut se faire par la politique ou la banque ou les telcos. Cela doit se faire par un acteur neutre et agnostique.
Par Hippolyte Gourmantier
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