Comment le Fonds des Nations unies pour la population (UNFPA) joue-t-il son rôle à partir de Dakar pour essaimer sur l’ensemble de la région ?
Mabingue NGOM: Comme vous le savez, avec la crise de la Covid-19, tout a changé. Et les changements à venir sont appelés à être encore plus importants. Depuis le mois de mars, nous nous adaptons. Avec le télétravail, nous avons été capables d’inventer de nouvelles approches qui nous permettent de poursuivre l’appui que nous apportons aux pays de la région. Ces nouvelles méthodes nous ont permis d’apprendre, de nous adapter et de progresser.
Qu’est-ce qui change ?
Manifestement, rien ne sera plus comme avant. Dans la façon de travailler et d’apporter notre appui aux pays, dans la façon de résoudre les problèmes. Mais également dans les rapports entre les acteurs au sein de la communauté internationale – les pays, les partenaires, les organisations du système des Nations unies, le secteur privé, la société civile, etc.
Nous avons énormément appris. Nous avons pu nous adapter aux difficultés nouvelles, inventer et déployer de nouvelles méthodes qui nous permettent de faire plus et mieux avec les ressources limitées dont nous disposons. Et ces méthodes vont demeurer, même après la fin de la crise sanitaire.
Je pense que la symbiose des approches traditionnelles et des approches nouvelles, des expériences des uns et des autres, vont ouvrir des voies originales qui peuvent être extrêmement porteuses. Je suis tenté de dire que la crise nous a poussés à plus de créativité et nous a forcés à mieux utiliser des outils autrefois beaucoup moins exploités.
Quelle est l’ampleur de la pandémie dans le Sahel ?
Affligée par une combinaison de conflits armés, le terrorisme, les conditions climatiques extrêmes et l’instabilité économique, la région était, bien avant la pandémie, au centre de tous les débats politiques internationaux.
Dans la zone du Sahel central, et en particulier la région du Liptako Gourma, qui est limitrophe du Burkina Faso, du Mali et du Niger, cette crise sécuritaire a entraîné la mort de quelque 4 000 personnes rien qu’en 2019 et a provoqué d’importants déplacements de populations dans les trois pays touchés.
La crise se combine avec une forte croissance démographique. La population croît à un taux qui est bien plus important que d’autres pays du monde. Cela se traduit par une part importante de la population jeune (plus de 60 % de la population a moins de 15 ans) et une forte demande sociale à laquelle les pouvoirs publics et les budgets nationaux, ainsi que les ménages, peinent à faire face.
Plus de 8 millions d’enfants de six à quatorze ans ne sont pas scolarisés, soit près de 55% des enfants de cette tranche d’âges. Alors que les gouvernements sont obligés de consacrer l’essentiel des ressources pour la réponse militaire, qui représenterait près du tiers du budget national.
C’est pourquoi, très tôt cette année, l’UNFPA ainsi que l’ensemble des agences du Système des Nations unies qui interviennent dans la région de l’Afrique de l’Ouest et du Centre ont accordé une attention particulière au Sahel.
Nous avons ainsi pris le soin d’écouter les principaux acteurs dans chacun, ce qui nous a permis d’apprécier la qualité de la réponse et de suivre un mécanisme de suivi quotidien de l’évolution de la pandémie dans ces pays à travers des réunions régulières (tous les mardi matin, depuis Dakar).
Malgré les chiffres relativement bas des cas d’infections, le Sahel demeure une des régions les plus affectées par la Covid-19, en raison de la fragilité socioéconomique des pays liée à la désorganisation des systèmes éducatifs et sanitaires.
Chaque défi additionnel créé par la Covid-19 vient aggraver cette situation existante. Il est bien entendu que dans un tel contexte, les populations n’ont pas les moyens de demeurer confinées chez elles.
Comment peut-on, dans ces circonstances, apporter une solution ?
C’est une question très importante : fin 2019, nous avions mené six études empiriques. J’insiste sur ce dernier mot, c’est-à-dire basées sur des données, des chiffres, des faits solides qui constituent autant de preuves, sans a priori idéologique.
C’est un nouveau chantier que nous sommes en train d’engager. Au départ, ces études se sont appuyées sur trois études de cas dans trois pays différents qui constituent le Sahel central constitué du Burkina Faso, du Mali et du Niger.
Nous avons mené des études statistiques pures et dures pour apprécier l’évolution d’un certain nombre de variables au fur et à mesure de l’apparition et du développement de la crise…
Concrètement, de quoi s’agit-il ?
Nous avons regardé, par exemple, l’évolution des dépenses de santé, des dépenses d’éducation, des dépenses militaires, et des autres composantes de la demande.
Nous nous sommes rendu compte qu’au fur et à mesure que cette demande augmente, l’espace fiscal se réduit car il s’agit principalement de pays en difficultés qui sont obligés d’augmenter de façon considérable les dépenses militaires.
Plus les pays augmentent ces dépenses, moins ils disposent d’un espace fiscal permettant de répondre à la demande actuelle et à venir.
C’est ainsi qu’au cours de ces dernières années, les dépenses de sécurité ont connu une forte augmentation dans les pays en question, au détriment des dépenses de santé, alors que les gouvernements ont tous pris l’engagement d’allouer 15% de leur budget à la santé.
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