Le Président de la Commission de l´Union africaine, Moussa Faki Mahamat a sorti la grosse artillerie en s’engageant à faire bouger les lignes. Son discours à l’occasion de l’ouverture de la 27 ème session ordinaire de l’assemblée des Chefs d’états et de gouvernement de l’Union Africaine, à Addis Abeba était de haute facture. Une communication nouvelle méthode, nouveau style qui marque la fin des process vieillots de l’organisation panafricaine. Beaucoup d’eau a coulé sous les ponts avant l’amorce de ce tournant depuis l’élection du Tchadien, janvier 2017. Une communication à la fois stratégique et audacieuse qui a émerveillé la trentaine de Chefs d’état et la quarantaine de Premiers ministres et ministres de gouvernement, présents dans la salle. Moussa Faki Mahamat a tonné et fait parler sa fibre panafricaine contemporaine. C’est le temps du changement et du renouveau. Il faut changer les habitudes et les process de l’UA pour être en phase avec les nouvelles mutations de la géopolitique internationale. L’appareil de l’Union africaine est complexe, saturé et vieillot dans sa façon de percevoir le cours des choses. Moussa Faki veut passer à la vitesse supérieure. Son premier challenge est de réinventer un écosystème nouveau de travail et de planification pour des résultats performants et palpables. Cela doit passer par la création de nouveaux outils et le formatage des hommes investis de leurs missions à servir l’organisation au profit de l’émergence africaine. C’est tout le sens de son discours qui a reçu des salves d’applaudissements dans le flambant Center Conférences de l´UA d’Addis.
Confidentiel Afrique reproduit çi dessous in extenso le discours engagé du Président Moussa Faki Mahamat.
Discours du
Président de la Commission
de l’Union Africaine
S.E. M. Moussa Faki Mahamat
à la
29ème Session Ordinaire de la Conférence
de l’Union Africaine
3 juillet 2017
Addis Abeba
Excellence Monsieur Alpha Condé, Président de la République de Guinée, Président en exercice de l’Union africaine,
Excellences Mesdames, Messieurs les Chefs d’Etat et de Gouvernement,
Excellences Monsieur le Président Mahmoud Abbas, Président de de l’Etat de Palestine,
Excellence Madame Amina Mohamed, Sous-Secrétaire général des Nations unies,
Mesdames Messieurs les Ministres,
Monsieur le Vice-Président de la Commission,
Mesdames, Messieurs les Commissaires,
Mesdames, Messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames, Messieurs, Représentants des Organes et Communautés économiques régionales,
Distingués invités,
Mesdames, Messieurs,
Il y a exactement trois mois et demis que j’ai pris fonction à la tête de la Commission de notre Organisation. C’est un moment mémorable, ce jour où vous avez placé votre confiance en ma modeste personne. Permettez-moi donc, de vous renouveler, en toute sincérité, ma reconnaissance et ma gratitude.
En prêtant serment devant vous à m’investir de toutes mes forces pour l’accomplissement de la mission que vous nous avez confiée, aux commissaires et à moi-même, je mesurais l’immensité de la tâche, l’ampleur des défis, les innombrables contraintes qui nous assaillent et les obstacles qui jonchent notre chemin.
Votre irremplaçable soutien, Excellences Mesdames Messieurs les Chefs d’Etat et de Gouvernement, l’engagement africaniste du Président en exercice, le professeur Alpha Condé, ainsi que la mobilisation des différents organes compétents de l’organisation, nous ont permis, dans ce bref délais d’un peu plus de trois mois, d’accomplir des progrès substantiels en terme de balisage de terrain, préparation, de mise en place, voire d’amorces d’actions concrètes.
Excellences,
Mesdames, Messieurs,
Notre monde, vous êtes les premiers à le savoir, est un monde en bouleversement où les pays et tous les regroupements s’efforcent, chacun de son côté, à se tailler une place, au risque de marginaliser l’autre et d’éclabousser le voisin, fut-il le meilleur partenaire.
Dans un tel monde, des changements importants sont en cours, lesquels, peu ou prou, remodèlent, à une déconcertante vitesse sa physionomie politique, économique et institutionnelle.
La raréfaction des ressources consécutive à l’effondrement des prix du pétrole, la généralisation des dangers terroristes à la plupart des régions de la planète, la persistance des foyers de tensions et de guerres civiles dans des régions sensibles en Afrique, accroissent les facteurs d’insécurité et de déstabilisation.
Tous ces facteurs sont de nature à nous inciter ardemment et de façon encore plus résolue à l’unité et à la solidarité pour sauvegarder nos acquis et progresser dans la réalisation des objectifs dessinés dans et par notre agenda 2063.
Dans ce panorama général d’incertitudes, l’Afrique affiche, au-delà de ses déficiences et fragilités structurelles classiques, un visage de plus en plus prometteur.
Dans ce contexte, elle n’a cessé d’exprimer son attachement au multilatéralisme y compris notamment dans le cadre des Nations unies et avec d’autres partenaires stratégiques dans le monde.
Il est à cet égard heureux de noter que son taux de croissance de 3.4 en 2017 pourrait progresser pour atteindre celui de 4,3 en 2018. Tout indique que la durabilité d’un tel taux de croissance non négligeable se poursuivra en s’améliorant.
Les classes moyennes dépositaires et porteuses du changement continuent de donner des signes probants d’élargissement. L’esprit d’entreprise et de dynamisme créateur souffle au sein de larges milieux de la jeunesse à l’échelle de tout le Continent.
Les nouvelles technologies progressent dans de larges régions d’Afrique où la téléphonie mobile se répand à une extraordinaire vitesse, jusque et y compris dans de vastes zones rurales. A l’évidence, toutes ces bougies qui s’allument un peu partout dans le continent ne sauraient occulter ce qu’elles permettent de voir, ici ou là : la persistance de certains conflits, les signes patents de mal gouvernance économique, politique, démocratique et électorale, de marginalisation des femmes et de déficits significatifs dans la promotion de la jeunesse et son implication dans le processus décisionnel du devenir du Continent.
Excellences
Mesdames, Messieurs
En réponse à la question légitime, qu’avons –nous fait durant les trois mois qui viennent de s’écouler, je me permets de passer en revue quelques actions.
Une action programmatique a été engagée par l’ensemble des départements dès la fin des procédures de passation de services, immédiatement suivies d’une retraite de la commission, des présentations et de mobilisation du personnel de l’Union.
Le lancement de la réforme a été notre deuxième axe de travail. Plusieurs actions ont été entreprises en concertation étroite avec le Président Paul Kagamé en charge de cette réforme, le Pr. Apha Condé, Président en exercice de l’Union et le Président Idriss Déby Itno, président en exercice sortant de celle-ci, auxquels il me fait grand plaisir de rendre un hommage mérité pour leur sagesse, leur engagement panafricaniste et leur excellente interaction avec la Commission.
Le rapport de qualité que vient de présenter le Président Paul Kagamé a fait le tour de façon exhaustive des contraintes et des étapes franchies dans la mise en œuvre de cette réforme.
Excellences,
Mesdames, Messieurs,
Les questions de paix et de sécurité continuent de nous préoccupés au plus haut point. La situation dans le Soudan du Sud, la Somalie, la Libye, la RCA, la fébrilité des relations entre Djibouti et l’Erythrée, les difficultés de mise en œuvre de l’Accord de paix au Mali où l’activité du terrorisme djihadiste reste vivace, les situations politiques dans certains pays africains tels que la RDC, le Burundi, la Guinée Bissau et le Gabon, traduisent, à suffisance, cette préoccupation.
Bien que nous nous félicitons de la baisse des tensions autour de Guerguerat au Sahara occidental, de la nomination d’un nouveau Représentant personnel du Secrétaire général des Nations unies et de l’intention de celui-ci de lancer une nouvelle initiative de règlement pacifique du conflit, nous restons préoccupés par l’impasse actuelle. Nous espérons que la présence des deux parties comme membres de notre Union facilitera une solution consensuelle, conforme à la légalité internationale.
Pour faire face à tous ces conflits, nous avons décidé de donner la priorité à la prévention et l’anticipation qui invitent les groupements et mécanismes régionaux à une intensification de leurs actions en étroite coopération avec les organismes compétents de l’Union Africaine.
Sur ces questions et dans le cadre de notre partenariat, notre action durant les mois qui viennent de s’écouler a été marquée par une intense activité diplomatique. Il était urgent d’informer, de préparer tous nos amis dans le monde des perspectives de réforme de notre Union et de plaider avec force et pédagogie pour mobiliser les soutiens en sa faveur.
Dans ce cadre, nous avons organisé un sommet UA/UN. Ce sommet a été couronné par la signature d’un cadre de coopération en matière de paix et de sécurité entre nos deux organisations. Jamais l’entente, les perspectives et espérances de coopération entre nos deux organisations n’ont été aussi prometteuses. Je voudrais ici rendre un vibrant hommage à Son Excellence Antonio Gutteres, ce grand ami de l’Afrique, pour le rôle décisif qu’il a joué dans la promotion de ce climat.
Avec l’Union Européenne, ce partenaire stratégique majeur, nous avons eu des échanges de haut niveau avec ses instances exécutive et parlementaire à Addis-Abeba, Bruxelles et Strasbourg. Un solide consensus s’établit d’ores et déjà entre nos deux institutions sur les questions de paix et de sécurité, sur la lutte contre le terrorisme et le radicalisme, sur les questions de gouvernance politique, économique, démocratique et électorale, sur nos visions en matière de changement climatique et des injustices faites à l’Afrique, Continent le moins pollueur mais ne bénéficiant que d’une portion congrue des sacrifices consentis par l’humanité pour faire face aux périls planétaires, sur la place qu’occupent les femmes et la jeunesse.
La préparation conjointe du prochain sommet UA/UE dont le thème est « Investir dans la jeunesse » est entrée dans sa phase active. Notre vœu le plus cher est que ce sommet consacre une ère nouvelle d’un partenariat dynamique, fructueux et profondément respectueux des valeurs universelles qui nous unissent ainsi que des particularités qui nous distinguent.
Les contributions de l’Afrique aux G7 et G20 ont renforcé la visibilité de l’Afrique et permis d’intensifier le plaidoyer en faveur de nos priorités telles qu’elles ont été dessinées dans et par notre Agenda 2063.
Sur l’ensemble de ces questions, nous avons mis en relief les approches africaines qui sont de nature à consacrer la volonté de l’Afrique de s’assumer en assurant la solution de ses problèmes en puisant dans ses ressources humaines et matérielles.
Dans cette vision, je me réjouis de l’émergence de nouvelles réponses telles que la Force Mixte Multinationale de lutte contre Boko Haram dans le Bassin du Lac Tchad, la Force de défense des pays du G5 Sahel, l’institutionnalisation du Fonds de la paix, auquel certains Etats membres, que je félicite vivement, ont déjà apporté des concours substantiels.
Excellences,
Mesdames, Messieurs,
La proximité avec les populations africaines, quatrième axe de notre action durant le trimestre écoulé, cherche à ancrer l’idéal panafricain dans les consciences. Sa poursuite permettra de renforcer la solidarité et le plaidoyer en faveur des populations exposées aux vulnérabilités et désastres de la sécheresse, de la famine, des endémies, du terrorisme et autres violences.
A cet égard, quatre jours seulement après ma prise de fonctionne, je me suis rendu en Somalie, au Soudan du Sud, au Bassin du Lac Tchad et dans les cinq pays du G5. Cette démarche vise à témoigner de notre solidarité avec les Etats et Peuples de ces régions qui font face aux drames et tragédies précités.
Comment en effet vous cacher ma profonde frustration face au silence et à l’inaction des africains devant l’atroce drame de la famine dans ces régions ? Que sont devenues les valeurs de solidarité et de fraternité africaines. ? Où est passée notre société civile ? Où sont passés notre secteur privé et nos mécènes?
Les drames de nos frères en Somalie, au Soudan du Sud, dans le bassin du lac Tchad et dans le Sahel nous interpellent au plus profond de nos consciences, au plus profond de nos êtres.
Excellences
Mesdames, Messieurs
Au questionnement pertinent sur ce que nous aurons à faire d’ici le sommet de janvier 2018, il me plait de dessiner quelques pistes. La première est celle de mettre en œuvre les décisions pertinentes que vous prendrez à la lumière du rapport du Président Kagamé pour la mise en de la réforme. J’espère vivement que l’année 2018 soit l’année d’un relèvement de l’Union, de son autonomie financière et d’une nouvelle renaissance pour elle.
La deuxième piste sera notre action en matière de paix et de sécurité. Nous restons fixés, de toutes nos forces, sur l’impératif de faire baisser les tensions et de privilégier les solutions politiques dans les régions où les violences demeurent, hélas, encore vivaces. L’objectif de faire taire les armes d’ici 2020 est notre horizon.
J’espère à cet égard que mon rapport de Janvier 2018 apportera, avec l’aide de toutes les bonnes volontés du Continent et de nos amis et partenaires stratégiques dans le monde, de bien heureuses nouvelles sur tous ces chantiers de construction de la paix, de la justice et de la réconciliation Afrique.
L’action humanitaire de solidarité avec les populations victimes du désastre ravageur de la sécheresse, de la famine, des épidémies et des déplacements forcés sera notre troisième piste qui retiendra tout particulièrement notre attention et mobilisera une part non négligeable de nos énergies.
Les questions de développement stratégiques occuperont, en tant que quatrième piste, la place qu’elles méritent. Je souhaite une fois la procédure de transformation du NEPAD en agence d’exécution de l’Union, entamer le processus concret de réalisation de certains projets intégrateurs au bénéfice des populations africaines.
Sur un autre plan, nous chercherons à mettre comme cinquième piste d’action, l’impérieuse nécessité de parler d’une seule voix, en assurant définitivement l’exécution de votre décision de traiter avec les autres conformément au consensus de Banjul, et des dispositions pertinentes contenues dans la Décision 635 de janvier 2017.
Plusieurs évènements ont démontré que chaque fois que nous avons gardé notre unité et parlé d’une seule voix, nous avons remporté des victoires éclatantes. Le dernier exemple est celui des élections du Directeur général de l’OMS. Cette élection m’offre l’occasion de réitérer nos vives félicitations à notre compatriote, le Dr. Teodros pour sa brillante élection, tout en lui souhaitant pleins succès dans ses nouvelles fonctions.
Aussi, dans le même ordre d’idée, dois-rappeler la lourde responsabilité qui pèse aujourd’hui et demain sur les épaules des trois pays représentants l’Afrique au Conseil de sécurité des Nations unies, de démontrer plus que jamais leur unité et défendre fidèlement les positions adoptées par les organes délibérant de notre Organisation.
Excellences
Mesdames, Messieurs,
Deux questions me taraudent l’esprit. Je vous trahirais, ce que je répugne, je trahirais ma conscience ce qui me peine, si je ne vous les avouais.
Quels rapports établir entre nos décisions et nos actes ?
Comment assurer notre ancrage dans l’universalisme tout en sauvegardant notre spécificité ? A regarder les choses de plus près, les deux questions se rejoignent pour, en définitive, n’en faire qu’une seule.
Nous avons eu, en effet, la fâcheuse habitude de prendre une infinité de décisions, sur une infinité de sujets et thématiques, sans égards significatifs aux modalités de leur application. Ainsi ces décisions s’entassent et, pour la plupart parmi elles, finissent ensevelies dans les tiroirs. Tout le monde s’accorde à reconnaitre que cette façon de faire nuit immensément au crédit et à l’image de notre organisation.
En réalité, nous sommes placés devant un choix exigeant, incontournable. Soit nous modifions nos textes et dispositifs pour en extraire ce qui ne convient pas à nos spécificités et nos niveaux de développement, soit nous acceptons ce que ces dispositifs contiennent et nous nous plions aux exigences de notre ancrage dans l’universel.
Décider des options et faire le contraire est désormais une position politiquement intenable, éthiquement répréhensible.
J’en appelle donc à votre immense sagesse pour m’orienter et éclairer mes premiers pas, ici et ailleurs, dans la recherche du droit chemin.
Je vous remercie de votre haute et bienveillante attention.
9
RSS