GRAND FORMAT
Confidentiel Afrique : Avec votre statut de spécialiste en marketing, pouvez-vous nous faire une analyse globale du marketing sportif en Afrique avec les nouvelles réalités surtout dans le domaine des technologies ?
Papa Massata DIACK : Le marketing sportif est né en Afrique vers les années 90 avec la Coupe d’Afrique qui avait lieu en Algérie. C’était le déclic avec Mohamed Raouraoua qui était le directeur technique général de HAVAS et Président de la fédération algérienne de football. En tant que publicitaire, il avait suggéré qu’on offre au pays organisateur de faire un programme de sponsoring. Et en 1992, M. Daouda Faye Président organisateur de la CAN au Sénégal avait dupliqué le modèle algérien. Et ça à démarrer avec le grand sponsor Coca Cola, et moi de 1991 à 1996, j’ai apporté un gros client qui était Mobil Oil Corporation qui couvrait un programme avec huit pays africains à travers le championnat africain d’athlétisme.
‘’De 1991 à 1996, j’ai apporté un gros client qui était Mobil Oil Corporation qui couvrait un programme avec huit pays africains à travers le championnat africain d’athlétisme ‘’
À l’époque je travaillais avec mon défunt père Lamine Diack qui était le Président de la Confédération d’athlétisme. Je peux dire que ce sont ces deux sports qui ont lancé le marketing sportif en Afrique. C’est une très grosse industrie qui représente plus de 140 milliards de dollars de dépenses annuelles et l’Afrique ne représente que 3% des dépenses. Et le plus gros marché en Afrique, c’est l’Afrique du Sud. Actuellement plusieurs fédérations africaines de football se sont mises au sponsoring et n’attendent plus les États.
Le marketing sportif est une très grande industrie qu’il faut continuer à explorer. Personnellement, j’ai eu à travailler dans quatre pays, l’Afrique du Sud, le Nigéria, le Togo et le Sénégal. J’ai eu à organiser des événements dans 21 pays.
Confidentiel Afrique : Avec un carnet d’adresse assez riche, vous n’êtes pas utilisé suffisamment Sénégal après la traversée de 2002, qu’est ce qui explique cela?
Le Sénégal est un pays où tout tourne autour de l’État. Ce qui est arrivé en 2005 avec un contentieux malhonnête sur la gestion du Président Elhadji Malick Sy Souris, n’était autre qu’une volonté de reprise en main du football sénégalais qui commençait à s’affranchir. Car, entre 2001 et 2006, PAMODZI a pu mobiliser 7 milliards 429 millions de FCFA pour le football au moment où la fédération avait des revenus de 2 milliards de FCFA au niveau du sponsoring.
‘’PAMODZI a pu mobiliser 7 milliards 429 millions de FCFA pour le football au moment où la fédération avait des revenus de 2 milliards de FCFA au niveau du sponsoring’’
CA : PAMODZI est connue en Afrique et en Asie, mais surtout par les Sénégalais vers les années 2002 avec la prouesse des Lions à l’époque, comment vous avez pu réussir à vendre l’équipe en ces temps ?
Alors le marketing sportif c’est mon métier, j’ai signé un contrat avec la FSF en septembre 2001, avec un objectif financier précis et audacieux. On m’avait demandé de trouver sur la période septembre 2001 et décembre 2004, 2 milliards 300 millions. Sur le plan local, CCBM a été mon premier sponsor, ensuite ELTON Oil et tout de suite j’ai trouvé un équipementier notamment le Coq sportif.
‘’Au niveau local, CCBM a été mon premier sponsor, ensuite ELTON Oil et tout de suite j’ai trouvé un équipementier notamment le Coq sportif’’
En l’espace de 15 mois, on a pu mobiliser 2 milliards 147 millions FCFA avec un sponsor en titre et six sponsors officiels. Puisque c’est mon métier avec 11 années d’expérience, à l’époque, ce n’était pas difficile et avec une bonne équipe on s’en est bien sortis avec la structure PAMODZI.
CA : Aujourd’hui avec une première coupe d’Afrique et une troisième qualification à la Coupe du Monde, êtes-vous satisfait du marketing autour des Lions ?
Je pense que c’est sous-évalué, la Fédération fait de son mieux, mais elle a un sponsor institutionnel qui est l’État et qui s’occupe de toutes les conditions. Je pense qu’ils ne font pas trop d’efforts, parce que l’État est toujours là pour les suppléer. Avec actuellement 13 sponsors dont j’ignore la valeur marchande, la fédération aurait pu obtenir moins de sponsors mais avec plus de revenus, vu le statut actuel honorable de l’équipe nationale du football.
CA: Pensez-vous apporter votre expertise pour accompagner le Sénégal ?
J’ai eu à rencontrer un membre du Comité exécutif avec lequel on a travaillé sur un document qui s’appelait PLAXIS, qu’il a remis au Président de la République. J’ai été invité à deux séminaires. Pour l’un : j’ai fait des propositions sur comment commercialiser le football sénégalais et pour le deuxième : j’ai partagé mon expérience en donnant des pistes et je pense que la Ligue professionnelle est en train de mettre en place toutes les recommandations qu’on avait faites. Mais ma recommandation principale qui est celle de la mutualisation des droits commerciaux audiovisuels pour le football sénégalais n’est pas encore faite.
‘’Mais ma recommandation principale qui est celle de la mutualisation des droits commerciaux audiovisuels pour le football sénégalais n’est pas encore faite’’
C’est-à-dire que la Fédération de football et la ligue professionnelle, l’ONVAC et tous les démembrements doivent être vendus de façon pyramidale.
On négocie pour un lot d’événements sportifs avec les médias et pour des droits conjoints qui seraient uniformes sur toutes les plateformes. Dans ce cas-là, le football sénégalais sera dans une très bonne posture de négociation. Et j’attends que ma requête sois mise en place pour faire profiter à tout le monde footballistique. Et la deuxième recommandation est de mettre en place une boutique officielle des Lions du Sénégal avec tous leurs articles (maillots, écharpes, goodies…), ceci est un gros marché.
CA : Comment appréhendez-vous l’environnement du football en Afrique, du sport en général ? Les opportunités à exploiter, les niches de financement…
D’abord la chose la plus importante, c’est qu’on change de clichés. Auparavant, le sport était vu comme une activité de loisirs, hors que c’est une industrie génératrice d’emplois. J’en suis l’exemple patent avec une carrière de 32 ans.
‘’A travers des académies de football ou de basket ou d’arts martiaux, on peut assurer la promotion sociale de beaucoup de jeunes’’
Nos gouvernants doivent investir en terme d’infrastructures. En Afrique, il faut qu’on change de paradigme. Il nous faut beaucoup d’audace et de clairvoyance pour renverser la tendance. C’est seulement à ce prix qu’on va relever les défis.
CA : Le sport africain peut-il se frayer un avenir radieux dans un monde sportif dominé par de puissants lobbys ?
Cela va être très difficile de se rattraper, mais ça dépend de la volonté politique de nos gouvernants, en intégrant le sport dans leur programme économique. Par exemple, au Sénégal avec le PSE (Plan Sénégal Émergent), on ne voit rien sur le sport. Alors que notre plus grande fierté actuellement, c’est le football, c’est un domaine d’apaisement, d’intégration mais aussi de cohésion sociale. Le FMI, la Banque Mondiale, l’Union Européenne, les ONG qui dépensent des milliards de dollars pour des aides au développement vers nos pays oublie un secteur clé, celui du sport. Et si on l’encadre, on crée un écosystème intégrateur, porteur de richesses autour de cette discipline.
CA : Le sport africain n’est-il pas victime de cette uniformisation qui voudrait que la pensée dominante soit acceptée et appliquée au détriment des réalités des uns et des autres ?
On nous a toujours inculqué une pensée, à savoir que l’Afrique est pourvoyeur de talents. Et que l’on n’aura jamais les moyens pour créer une industrie du sport, on n’est victime de çà. Et ce sont nos gouvernants qui doivent changer la donne, par exemple en intégrant le sport à l’école.
»L’Afrique est pourvoyeur de talents »
Il faut tout juste changer de paradigmes comme évoqué plus haut pour permettre à notre jeunesse de se retrouver et de mieux s’occuper.
CA : Comment faire pour résister, pour préserver son identité dans ce combat ?
Il faut que la Fédération Sénégalaise de Football fasse son crédo : vendre tout le football sénégalais. On se rencontre que la ligue professionnelle n’a pas de sponsor en titre, c’est une aberration, car, le Premier Vice-Président de la Fédération est le Président de la Ligue. Je pense qu’il doive tout faire pour appuyer la commercialisation de la Ligue, pour que les clubs aient beaucoup plus de retombées. Actuellement, mon problème est que la FSF telle que je la vois, elle ne veut plus avoir d’agence, elle veut travailler toute seule.
‘’Actuellement, mon problème est que la FSF telle que je la vois, elle ne veut plus avoir d’agence, elle veut travailler toute seule’’
Alors que la commercialisation est un travail de professionnel, il faut une agence qui va se charger de démarcher des sponsors pour leur visibilité.
CA: Parlons du Contentieux qui oppose E-MEDIA à la RTS pour les droits de retransmission de la Coupe du Monde. Qu’est-ce que ce débat vous inspire ?
J’étais indigné, parce que cette histoire de droit de diffusion pour la coupe du monde, c’est comme une nébuleuse en Afrique.
’’ C’est une grosse nébuleuse en Afrique’’
À chaque période le débat s’impose, alors que dans d’autres continents, on négocie çà de manière transparente et professionnelle. Ici l’appel d’offre a été gagné par ITV et on n’a dit qu’il y a eu retard de paiement, cela ne peut pas être une raison. C’est une fausse excuse. La coupe du monde c’est 64 matchs, en Afrique on nous a restreint à nous montrer que 28 matchs à des sommes exorbitantes. La RTS a payé 965 millions FCFA. L’audiovisuel a changé. Il ya des chaines publiques comme privées, il faut que l’État soit équidistant. On essaie de protéger la chaine nationale au détriment des autres.
Il faut aller en consortium avec les autres télévisions, pour éviter les frustrations. Et moi je milite pour qu’on vote une loi à l’assemblée nationale pour régler définitivement ce problème de droits de diffusion. NEWWORLD TV la société qui gère les matchs n’a aucune référence dans le monde audiovisuel, c’est une nébuleuse et je déplore çà.
CA : Pensez-vous que l’affaire Lamine DIACK est une injustice internationale orchestrée par des puissances qui veulent tenir l’athlétisme en otage ?
Tout à fait. Ça je l’ai dit depuis le début. Moi je lui disais depuis 2013 lorsque j’ai lu dans un journal américain le fait qu’il doutait : « de la capacité de Lamine DIACK de laisser des réserves financières lors de son départ en 2015 », je lui ai dit de faire attention car un complot se préparait. On a eu un cas où son successeur Sébastian COE a été sollicité par les français pour obtenir les jeux olympiques. Je pense qu’il a fait un accord avec eux, en disant vous me soutenez on va faire une campagne nauséabonde, on va tout détruire sur Lamine Diack, créer des problèmes sur ses relations avec la Russie, sur le fait qu’il emploie son fils comme agent marketing, essayer de détruire son œuvre. Mais tout çà c’était pour prendre en 2015 la présidence de l’IAAF. Ils ont créé une affaire judiciaire où il n’y a même pas eu d’enquête. Une enquête dure au moins deux ans, alors que pour ce cas précis, elle a duré 52 jours.
‘’Une enquête dure au moins deux ans, alors que pour ce cas précis, elle a duré 52 jours’’
Et avant son décès, mon père m’a dit : « qu’on a été victime d’une cabale bien orchestrée et je n’ai pas été prudent, je ne voyais pas Sébastien Ko mon successeur que j’ai poussé vers le haut jusque- là me faire des coups bas ».
Cette histoire-là on va la vider en Cour d’appel pour la mémoire du Président Lamine DIACK ; et j’ai assez d’éléments pour le défendre. Pour quelqu’un qui a passé 39 ans de sa vie à l’universalisation de l’athlétisme et qui a laissé 985 millions de dollars de contrats et 75 millions de dollars en réserve financière pour l’IAAF.
Pour gérer ce lobby, il faut des africains dans les instances de décision. Ils ont détruit tous les grands dirigeants comme Issa HAYATOU, Lamine DIACK… en général, on utilise souvent les africains pour combattre d’autres africains. Le sport aujourd’hui est à la croisée des chemins et il nous faut des dirigeants forts qui comprennent les enjeux.
CA : Au- delà du sport qui est votre passion, est-ce que vous comptez investir sur le plan social ou politique ?
Je n’ai aucune prédisposition politique, parce que je suis spontané et c’est pas une qualité requise en politique. Et puis, c’est un domaine qui a tellement fait de mal à ma famille. En 1993, notre maison a été brûlée après la proclamation des résultats. Ensuite cette histoire de l’IAAF a été mêlée à des choses politiques comme quoi mon père soutenait la campagne de l’opposition en 2012 contre Abdoulaye Wade. Ne serait-ce qu’en mémoire de ses deux événements jamais je n’en ferais. C’est un milieu malsain. Je n’ai qu’un seul parti politique, c’est le Mouridisme, je suis fervent talibé de Cheikh Ahmadou Bamba et j’œuvre pour les réalisations entre TOUBA et DAROU MOUSTY qui est mon fief.
‘’ Je n’ai qu’un seul parti politique c’est le Mouridisme, je suis fervent talibé de Cheikh Ahmadou Bamba et j’œuvre pour les réalisations entre TOUBA et DAROU MOUSTY qui est mon fief ‘’
Pour le social, je l’ai dans les veines, dans notre famille on partage tout ce qu’on a. Le social je le vis chaque jour, c’est une fibre humaniste en moi.
Je suis militant du sport qui m’a fait visiter 42 pays de mon continent.
Je partagerai mon expérience sur le marketing sportif surtout le côté panafricain, dès que l’enquête pénale sera vidée en France. Je ferais aussitôt après un livre pour donner ma version des faits et aussi les réalisations de mon défunt père Lamine Diack. Il ya tellement de choses à dire pour montrer à la jeunesse que le sport est une industrie.
»Je ferais aussitôt après un livre pour donner ma version des faits »
Propos recueillis par Ismael AÏDARA, Maguette MBENGUE, Hippolyte GOURMANTIER et Mamadou DIEYE (Photos)
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