» L’Afrique est à la croisée des chemins où tous les problèmes rencontrés sont solvables »
Confidentiel Afrique : Sénégalais bon teint, vu votre brillant parcours, comment vous vous définissez: financier, expert en communication de développement, expert en stratégie ?
Ibrahima Cheikh Diong, Founder et CEO d’ACT : Je dirais les trois combinés. Je crois fermement que les trois catégories d’expertise sont celles dont ont besoin la plupart des pays Africains pour atteindre le statut d’Etats émergents. En premier lieu, la Stratégie, afin d’avoir nos plans de développement nationaux cohérents et des projets structurants correctement définis. Puis, La Finance, parce que nous avons besoin de professionnaliser la façon dont nous mobilisons les ressources techniques et financières en Afrique. Enfin, la communication, pour améliorer le branding et le storytelling que nous faisons de nous-mêmes sur notre continent. En tant que banquier d’investissement et de développement, consultant en gestion et passionné de communication pour le développement, mon entreprise et moi avons été actifs sur ces trois fronts, supportant ainsi les clients du secteur public et du secteur privé.
Quel regard portez-vous sur le Continent, dernière frontière aujourd’hui de l’économie mondiale ?
L’Afrique est à la croisée des chemins où tous les problèmes rencontrés par notre beau continent sont solvables. Nous avons fait d’énormes progrès en ce concerne la stabilité politique de nos états. Néamoins nos acquis doivent être davantage renforcés et consolidés.
Je pense que nous devons aspirer à une Afrique où les choses suivantes doivent prévaloir : un fort leadership politique, économique et civique. Une Afrique où les ressources sont gérées avec intégrité, transparence et dont les profits sont redistribués avec équité. Une Afrique où règne l’état de droit. Nous avons besoin de devenir plus futés lorsque nous négocions des partenariats mondiaux afin de mieux défendre nos intérêts. Au final, nous avons besoin non seulement de bâtir notre capacité à supporter notre développement mais aussi à tirer profit de notre capital humain en Afrique et dans le monde indépendamment des affiliations politiques. Le monde ne nous attend pas, et nous ne devons pas l’attendre non plus.
Nous avons l’impression que vous êtes très sollicité à l’extérieur et moins au Sénégal, pays de votre naissance, est-ce le cas ?
C’est vraisemblablement qu’une perception. Notre entreprise a accompagné bon nombre d’acteurs au Sénégal. Bien sûr, même si nous sommes une entreprise panafricaine, Nous souhaitons en faire encore plus pour le Sénégal étant donné que nous sommes basés à Dakar. Nous sommes constamment en contact avec les membres du gouvernement et du secteur privé, qui sollicitent nos conseils sur des projets stratégiques. Nous avons d’ailleurs facilité plusieurs évènements et projets sénégalais impliquant les membres du gouvernement, du secteur privé et d’institutions internationales. Nous comptons faire encore plus en 2018.
Bien que ACT ait une ambition panafricaine et compte parmi ses collaborateurs plusieurs nationalités, le développement du Sénégal nous incombe tous, nous considérons notre implication comme un devoir.
Vous êtes apparemment rentré au bercail, comment cela se passe-t-il ?
En effet, je suis de retour depuis 2012 date à laquelle j’ai créé le cabinet ACT. Mon objectif était de mettre mes 27 années d’expérience dans les secteurs publics, privés et organisations multilatérales au service du continent.
Comme vous le savez, mon premier retour au Sénégal (après 20 ans passés au sein d’organisations internationales) fut en 2007 lorsque j’ai rejoint l’équipe du président Abdoulaye Wade. J’ai été très honoré d’avoir contribué au développement de grands projets dans des secteurs clés qui ont transformé l’économie et le paysage Sénégalais : l’aéroportuaire, les infrastructures, l’énergie, la culture, le sport, .
Que vous inspire le PSE du Président Macky SALL ? Et quelle note attribuerez vous au regard du rythme où vont les choses ?
Il est bon que notre pays, comme beaucoup d’autres économies africaines sérieuses, ait élaboré un plan de développement national cohérent pour nous conduire à un statut d’économie émergente. Bien sûr, le challenge réside dans l’exécution de ces plans et le Sénégal n’est pas une exception. Les questions que beaucoup d’entre nous se posent en ce qui concerne le PSE sont les suivantes : quel est le niveau d’exécution du plan, en particulier les projets prioritaires ? Comment la vie des Sénégalais a-t-elle changé pour le mieux grâce au plan ? Quel est le niveau d’implication du secteur privé local dans l’exécution du plan ? Nos institutions se sont-elles améliorées et notre environnement d’affaires s’est-il développé grâce au plan ? Donc, en tant que sénégalais qui veut simplement voir son pays avancer, peu importe qui le dirige, ce sont quelques-unes des questions objectives que nous nous sommes posées en ce qui concerne le PSE. Ce sont les réponses à toutes ces questions qui permettront d’évaluer objectivement l’efficacité du PSE.
Ibrahima Cheikh Diong, facilitateur du forum des investissements à Dubai
Le mobile banking est né en Afrique plus précisément au Kenya et la culture de la mesofinance communautaire est anciennement bien ancrée en Afrique, pourtant on en tire pas beaucoup les dividendes ?
Tout d’abord, la banque mobile est le présent et l’avenir de l’Afrique car elle nous permet de réduire les écarts technologiques et d’atteindre les personnes qui n’ont pas accès aux services financiers. Par conséquent, nous devrions viser à multiplier et reproduire des exemples de réussite tels que Mpesa au Kenya ou Wari au Sénégal. L’histoire de la banque mobile en Afrique n’a pas encore été écrite, car c’est une formidable opportunité de se surpasser concernant l’accès aux services bancaires aux millions de personnes non bancarisées à travers le continent, en particulier dans les zones rurales et d’encourager l’innovation technologique. Aujourd’hui, tout smartphone est à peu près une banque « sur pattes » avec des services autres que les services bancaires. Bien que je n’aie rien contre toutes ces multinationales qui se lancent dans le secteur de la banque mobile, nous devrions soutenir plus de collaboration entre elles et les acteurs locaux. De plus, je rêve du jour où nos universités feront partie intégrante de la révolution technologique du continent en reliant leurs recherches appliquées aux besoins de nos économies. Au Rwanda par exemple, ils ont lancé des centres d’incubation partout pour encourager les étudiants à traduire leurs idées innovantes de la théorie à la réalité.
En tant qu’expert Africain qui murmure dans l’oreille des décideurs africains et du monde, où se situe le maillon faible de nos économies pour aspirer à une véritable émergence économique ?
Il y en a plusieurs mais permettez-moi d’en souligner deux : l’absence de vison à long terme et la difficulté à consolider les acquis. Je pense qu’il est important que nos dirigeants puissent se projeter dans l’avenir afin de définir des plans qui vont au-delà de leur mandat.
Concernant le second point, il est important que nous prenions l’habitude de consolider les acquis afin d’assurer une certaine continuité dans la gestion des affaires publiques même s’il est naturel que tout nouveau gouvernement fixe ses propres priorités.
Mon conseil donc aux décideurs serait d’être à l’écoute des besoins de leur peuple et de capitaliser sur les bonnes réalisations de leurs prédécesseurs.
Quelle lecture faites vous de l’offensive tout azimuts en Afrique des sociétés off-shores occidentales, chinoises, turques, marocaines et nigérianes dans des secteurs stratégiques ( banques, assurances, télécoms, btp, transports, commodities ) ?
Ecoutez, ce n’est pas surprenant car l’Afrique a un énorme potentiel et est pleine de possibilités. Les questions fondamentales sont, de mon point de vue, ce que font nos gouvernements pour créer un environnement d’affaires attrayant qui soit bon pour ces multinationales off-shore et le secteur privé africain. Quelle est la valeur ajoutée de ces multinationales en matière d’amélioration des compétences locales, de création d’emplois, d’investissement, etc. ? Le monde sait ce qu’il veut de l’Afrique et la question est de savoir ce que l’Afrique veut du reste du monde et comment va-t-elle s’organiser pour l’obtenir.
Ne pensez -vous pas que les états africains devraient créer un fonds fiduciaire de titrisation de nos ressources minéralières, gazières et pétrolières pour la levée des financements pour le développement de nos économies ?
Tout à fait d’accord. L’Afrique devrait être capable de mobiliser ses ressources pour son propre développement au lieu de compter sur le financement des donateurs. Étant donné que nos ressources naturelles ont été mal gérées dans le passé, je suis d’accord avec le fait que nous devons trouver des moyens innovants de veiller à ce que ces ressources soutiennent nos économies plutôt que de soutenir uniquement les besoins des autres. Il est encourageant que des pays comme le Sénégal et le Gabon aient établi des fonds souverains très solides. Le Sénégal peut maintenant tirer parti de ses ressources pétrolières et gazières récemment découvertes pour mobiliser des financements pour ses projets de développement.
Aujourd’hui, nous pouvons mobiliser des financements de sources variées y compris des marchés financiers. Cependant le défi majeur demeure la qualité des montages et la faisabilité des projets.
Quels sont les pays africains en dehors du Rwanda, de l’Éthiopie, du Botswana, de l’Ile Maurice, de l’Afrique du Sud, du Nigéria, qui vous fascinent en termes de modèle de développement ?
Je suis très impressionné par la Côte d’Ivoire qui a réussi à se mettre sur la bonne voie malgré les 10 années d’instabilité politique. Bien sûr, tout le monde se pose la question des élections de 2020 mais j’ai bon espoir. Je suis également impressionné par le Burkina Faso, qui, lentement mais sûrement se reconstruit malgré l’héritage du régime précédent. Enfin, le Cap-Vert qui a réalisé des avancées considérables vers l’émergence grâce à un travail acharné et un excellent bilan de gouvernance. Bien évidemment le Sénégal qui a enregistré une croissance économique constante ces 3 dernières années.
Quelle Afrique souhaitez- vous bâtir à l’horizon 2030 ?
Une Afrique qui est gouvernée par des institutions fortes, où la primauté du droit est ancrée dans son ADN. Une Afrique où personne n’est laissé pour compte, où chaque individu a accès aux services de base. Une Afrique qui prend son destin entre ses mains.
Un mot sur le débat du franc CFA ?
Tout d’abord, je suis pour une monnaie qui accompagne le développement de nos économies. Je crois sincèrement que nous devons avoir un débat moins passionné sur le Franc CFA, notamment en ce qui concerne le rôle prépondérant de la France dans notre monnaie. Les questions auxquelles nous devons répondre sont : après presque 60 ans d’indépendance pour la plupart de nos pays, est-ce normal que notre devise soit fortement contrôlée par un autre pays ?. Notre devise nous rend-elle compétitifs en matière de commerce ?. Pouvons-nous nous permettre de déléguer la gestion de nos réserves ?. Quel est le rôle de la banque centrale dans le financement de nos infrastructures ?. Quelle est l’alternative au FCFA ?. Ce sont toutes ces questions que nous aborderons avec des acteurs économiques, universitaires, de la société civile, … au prochain débat du Dakar Business Hub. Dakar Business Hub est une plateforme que j’ai lancée avec d’autres acteurs du secteur privé pour promouvoir le débat économique en Afrique.
Who’ s Ibrahima Cheikh Diong ?
Propos recueillis par Ismael AIDARA et Pierre René
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