Dans quelques jours, le Président Issoufou rentrera dans l’histoire du Niger comme étant le premier chef d’Etat civil à passer le relais à un autre civil au terme d’une gouvernance et d’une compétition électorale exemplaires à bien des égards, de l’avis même des observateurs de la communauté internationale.
C’est à juste titre que, sans attendre le jour de son départ du pouvoir d’État, la Fondation Mo Ibrahim lui a décerné son prix pour le leadership et l’excellence en Afrique, récompensant ainsi ses efforts en faveur du développement et de l’alternance démocratique dans son pays. Cette prestigieuse distinction honore également celui qui aura conduit son peuple sur la voie du progrès, face aux problèmes politiques et socioéconomiques les plus graves, notamment l’extrémisme violent et la désertification croissante.
Mais quelle qualité de Président la Fondation Mo Ibrahim a célébré ? Assurément le Président Mahamadou Issoufou est exemplaire car voilà deux ans, que la Fondation si regardante en compliments, et si exigeante que son prix n’avait pas été attribué, faute de lauréat ?
Le soldat du développement, le penseur des plaies, l’homme de parole, le penseur des conflits, l’artisan de la paix ? La question est légitime, mais y répondre n’est pas aussi aisé qu’on pourrait le penser, car celui à qui les Nigériens ont confié la conduite de leur État pendant dix ans incarna, tantôt tour à tour, tantôt simultanément, plusieurs de ces figures, faisant sienne l’idée selon laquelle la fidélité à soi est dans le mouvement.
Le Président Issoufou que je voudrais saluer ici est celui que je me plais à appeler le promoteur du dividende démographique, tant fut crucial son apport au plaidoyer et à l’opérationnalisation de cette théorie dont le Fonds des Nations unies pour la Population (UNFPA) s’est fait le chantre.
En effet, c’est en novembre 2013 que le Président Issoufous’engage avec le Fonds des Nations unies pour la Population dans ce combat pour la capture du Dividende Démographique dans son pays et en Afrique en général, du fait des défis sociodémographiques actuels. Recevant à Niamey le Président de la Banque mondiale, Dr Jim Yong Kim et le Secrétaire général des Nations Unies M. Ban Ki-moon, la Présidente de la Commission de l’Union africaine, Mme NkosazanaDlamini-Zuma, le Président de la Banque africaine de développement M. Donald Kaberuka et le Commissaire chargé du développement de l’Union européenne M. AndrisPiebalgs, le Président du Niger, M. Mahamadou Issoufou lance un appel pour une initiative régionale sur l’autonomisation des femmes et le dividende démographique. L’appel sera entendu et se traduira par le lancement en novembre 2015 de chantier phare, connu sous son acronyme anglais de SWEDD (Sahel Women Empowerment and Demographic Dividend).
Galvanisé par le succès de son appel, mais refusant de dormir sur ses lauriers, le Président Issoufou va s’attacher à montrer que le Dividende Démographique (DD) constitue bel et bien un moyen efficace d’accroitre les capacités des individus et des communautés à assurer leur bien et leur mieux–être. En cela, il inscrivait sa réflexion dans le nouveau paradigme,vaillamment défendu par le Professeur Amartya Sen, du «développement comme liberté », pour reprendre le titre de l’ouvrage le plus emblématique de ce penseur indien, PrixNobel d’économie.
Avec un brio et une intelligence remarquables, il se fera le héraut du DD d’abord devant l’Assemblée Générale des Nations unies lors de sa 69e session en Septembre 2014. Un plaidoyer dont j’allais, sur un plan personnel, faire de chaque mot une référence depuis que j’ai été nommé en 2015 Directeur régional de l’UNFPA pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre. Lors de la session des chefs d’État tenue en Février2017 à Addis Ababa, l’intervention du Président Issoufou est restée dans toutes les mémoires pour avoir été celle qui les vit adopter à l’unanimité une feuille de route continentale sur le dividende démographique. Tirer les implications de cette feuille de route et mettre en œuvre des politiques susceptibles de donner corps à l’esprit d’Addis devinrent dès lors pour le Président Issoufou une préoccupation constante.
Sous son leadership, la culture a été mise au service du développement comme en témoigne la contribution de qualité de l’Association des Chefs traditionnels du Niger aux questions relatives au droit et à la sante des jeunes filles et des femmes et l’attribution à ladite association du Prix International de population pour l’année 2017.
Dans ce cadre, les relations entre démographie, paix et sécurité allaient s’offrir comme un nouveau champ à explorer.Un champ qui retint toute son attention, au point qu’il acceptât d’organiser à Niamey, sous sa présidence, un symposium de haut niveau que la COVID allait malheureusement contraindre de se tenir en mode virtuel le 2 décembre 2020. Dans la préface de l’ouvrage consacré à cette problématique par l’UNFPA WCARO, le Président explicite le sens de son engagement sur ce terrain : à ses yeux, dans un Sahel qui ressemble de plus en plus à un arc de feu, la question la plus brûlante est celle de savoir si les dynamiques démographiques sont de nature à favoriser le développement, la paix et la sécurité ou si, au contraire, elles sont susceptibles de les mettre en péril.
La problématique lui semble d’autant plus digne d’intérêt que certains analystes ont vite fait d’imputer l’« extrémisme violent » à la jeunesse de la population au Sahel, mesurée par l’âge médian, en oubliant que la variable démographique, pour importante qu’elle soit, n’est, ni au Sahel ni ailleurs, une variable indépendante. Les travaux de modélisation statistique et les études empiriques menés sur cette question dans le Sahel central révèleront que les déterminants de la paix et de la sécurité y sont certes d’ordre démographiques, mais tout autant d’ordre économique, social, politique, environnemental, culturel, voire technologique.
Le Président Issoufou va saluer la publication de l’ouvrage issu de ces travaux au motif qu’il offre au Sahel un nouveau cadre conceptuel pour éclairer de ce nexus démographie- paix- sécurité en allant au-delà des gloses et poncifs habituels en la matière. Dans la foulée, le Président Issoufou va ciseler un message politique qu’il déclinera en deux affirmations. La première est que le Sahel peut et va gagner la guerre contre l’insécurité et « faire taire les armes », pour paraphraser l’Union africaine, non pas uniquement en investissant dans les dispositifs sécuritaires, mais en s’attachant avec détermination et vigueur à constituer un dividende démographique par le biais de politiques soutenues et originales de valorisation du capital humain dont il rappelle qu’il est, au Sahel plus qu’ailleurs, en majorité jeune et féminin. La seconde affirmation est que la victoire sera plus durable si elle résulte de la synergie des efforts de tous. Ce message correspond à une conviction profonde chez le Président Issoufou que c’est en priorité aux Sahéliens qu’incombe la tâche de trouver des solutions à leurs problèmes et qu’il leur revient de se doter deréférentiels majeurs, de boussoles qui permettent de garder le cap sans pour autant se refermer sur eux-mêmes car, loin d’être un espace isolé, le Sahel est plongé dans le monde et participe à ses pulsations tout autant qu’il en subit les effets.
À travers ces initiatives et d’autres qu’il a marquées de son empreinte, le Président Issoufou a fait preuve d’un leadership politique et intellectuel incontestable. Qui a eu, comme moi, leprivilège de l’approcher à New York lors des Assemblées Générales de l’ONU, au siège de l’Union Africaine, à AddisAbaba, à Niamey où il abrita plusieurs rencontres de haut niveau, y compris, à Tokyo à l’occasion de la TICAD, n’a pu manquer d’être frappé par sa capacité de discernement, qui le conduit souvent à prendre à bras le corps, tel un déchiffreur, des problématiques nouvelles et sa capacité d’anticipation et d’analyse stratégique des questions peu explorées qui l’apparentent tantôt à un démineur tantôt à un capitaine tenant d’une main ferme un gouvernail.
Il a mis en lumière comme personne auparavant l’importance capitale qu’il convenait d’apporter à deux catégories sociales qui en fait constituent une majorité démographique : les femmes et les jeunes. Renforcer leurs capacités, leur donner les moyens de s’autonomiser, être attentif à leurs attentes, ne sont pas simplement des impératifs moraux dictés par des soucis de justice et d’équité ; de telles postures procèdent toutautant d’un souci d’efficacité de l’action publique tant il est vrai qu’un modèle qui négligerait la majorité démographique serait vouée à l’échec. Mobiliser toutes les forces et n’en laisser aucune de côté, tel a été le souci constant du Président Issoufou qui, ce faisant, donne corps et vie au principe sous-jacent aux ODD: ne laisser personne pour compte, et surtout pas les jeunes et les femmes qu’à tort on traite comme des cadets sociaux alors même que l’histoire nous enseigne qu’aucune transformation durable ne s’est jamais effectuée sans que ces catégories sociodémographiques n’y aient pris une part active, à défaut d’en avoir été les fers de lance.
De telles qualités intellectuelles sont des traits marquants, qui ont valu au Président Issoufou un respect fort mérité de la communauté des décideurs autant que de la communautéscientifique. Mais au-delà des qualités d’esprit, ce qui a valu au Président ce respect rarement égalé, c’est ce que l’on pourrait appeler un style, une manière d’être. C’est d’abord le courage de dire la vérité. Me vient en mémoire celui dont il fit preuve le 7 Juillet 2019 en dénonçant le mariage des enfants. C’était lors d’un side event avec les Premières Dames Africaines, la Directrice exécutive de l’UNFPA, et en présence de plus de 500 déléguées qui ne purent s’empêcher de lui accorder une standing ovation. C’est ensuite une approche résolument régionale des problèmes de développement du Sahel. Rien n’illustre davantage ce trait que l’approche préconisée par le Président Issoufou s’agissant du nexus démographie-paix-sécurité. Dès la formulation de ce projet, il a souligné la nécessité de penser le Sahel comme une entitéfaçonnée par la mobilité des groupes humains qui y vivent et un espace dont les cartes mentales et administratives ne sont pas juxtaposables. Dès lors, dans un souci de traiter le réel, il convenait, soulignait-il, de considérer la région sahéliennecomme une entité dont les contours relevaient davantage de la géométrie variable que de l’immuabilité/intangibilité suggérée par des bornes frontières, au demeurant introuvables en bien des points de cette vaste région. Il en découlait une conséquence immédiate : les problèmes en question ne pouvaient trouver de solution durable qu’en épousant le réel,fait en l’occurrence d’espaces imbriqués, traversés par des flux qui n’ont cure des barrières administratives ; il convenait dès lors d’envisager l’action à une échelle régionale. Ce credo, le Président Issoufou l’a fait sortir des ornières de la rhétorique poétique pour l’élever au rang d’une praxis ou, diraient les sociologues, d’un fait social total.
Quant au partenariat, il a été un thème récurrent dans les prises de parole du Président Issoufou. Il en fit un axe central de son intervention en septembre 2019 à l’occasion de la 74ème session de l’Assemblée Générale des Nations Unies, coïncidant avec la publication d’un ouvrage -Goal 17 – Le partenariat : une démarche privilégiée de l’UNFPA dans la transformation de l’Afrique et du monde- qu’il préface avec Mme Amina J. Mohammed, Vice-Secrétaire générale des Nations Unies.
C’est un certain pragmatisme qui guide le Président Issoufou lorsqu’il affirme que le partenariat est « la seule solution viable pour promouvoir un développement durable et sortir de la crise » et que, pour ce faire, il importe « de dépasser les clivages Nord Sud et autres dichotomies caractéristiques des premières décennies du développement ». Il faut toutefois s’empresser d’ajouter que le partenariat préconisé par le Président Issoufou a très peu à voir avec les approches techno-bureaucratiques qui s’en prévalent ou les approches comptables qui s’en réclament ; il a tout à voir, par contre,avec une conception éthique de la coopération au développement. Il doit en effet être basé, selon lui, sur « une commune humanité qu’il faut préserver et renforcer tant au Nord qu’au Sud, car elle est menacée partout ». Dans cette conception éthique du partenariat, le respect de l’engagement, qu’il soit couché sur le papier ou véhiculé par la parole, est partie intégrante de l’élégance républicaine et de la puissance régalienne.
C’est d’éthique qu’il s’agit encore lorsque le Président Issoufou invite, comme il le fit lors de son allocution du 2 décembre 2020, à l’occasion du symposium virtuel « Démographie Paix et Sécurité », à faire preuve d’humilité lorsque l’on se préoccupe de faire revenir la paix dans le Sahel. « Rester humble et garder le regard toujours sur la recherche de solutions pour asseoir une paix » avec la claire conscience que la paix requiert la coopération de tous les enfants du pays: voilà ce qui semble avoir été, plus qu’unleitmotiv du Président Issoufou, une ligne directrice de son action.
Que ces qualités qui lui ont valu des hommages mérités inspirent toutes celles et ceux qui ont la lourde charge de poursuivre son œuvre, au moment où le Président Issoufous’apprête à céder sa place de chef d’État pour occuper celle que l’Histoire réserve à ceux qui ont su mettre les intérêts des plus démunis au cœur de leurs préoccupations.
Puissent les Président Issoufou se multiplier pour aider à relever les défis, auxquels est confronté le Sahel, cette régionau passé glorieux, au présent difficile et à l’avenir entachéd’incertitudes, qui, sans nul doute possible, se donnera les moyens de tirer parti des innombrables qualités de leader exceptionnel du Président Mahamadou Issoufou.
Par Mabingué NGOM, Directeur Régional Afrique de l’Ouest et du Centre UNFPA
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