
Le 13 septembre dernier, au lendemain de son désignement comme candidat de consensus de l’opposition, le vétéran politique camerounais Issa Tchiroma Bakary choisit une date hautement symbolique- l’anniversaire de l’assassinat de Ruben Um Nyobè. Entre profession de foi et engagement d’incarner la grande « alternance » tant attendue et le pôle équilibriste inoxydable de la scène, celui que l’on présente comme la dernière colonne qui va signer la fin de la longévité de BIYA à la tête du pays, joue son va-tout.
Son discours, enflammé, résonne comme une proclamation de rupture : un seul mandat de transition, réconciliation nationale, double nationalité pour la diaspora, audit de l’État, réforme des institutions et promesse d’élections libres. De l’ancien «Big Chief de la boussole de communication de Paul Biya », il ne resterait plus que l’homme de rassemblement, messager du changement et de la transition. La rédaction de Confidentiel Afrique, a élaboré les différents scénariis possibles pour l’élection du Président de la République au Cameroun le 12 octobre prochain sur la base de confidences exclusives d’observateurs avertis du Palais d’Etoudi, diplomates sur place et personnalités proches du pouvoir et de l’opposition.
Né en 1949 à Garoua, Issa Tchiroma Bakary aura traversé, tel un funambule politique, plus de trois décennies de vie publique. Député, ministre des Transports dans les années 1990, puis porte-parole du gouvernement et ministre de la Communication, il s’est imposé comme l’un des visages familiers de la «majorité présidentielle». Sa loyauté apparente envers Paul Biya, parfois teintée de verve polémique, masquait une constante: son instinct de survie et sa capacité d’adaptation. Ministre de l’Emploi et de la Formation professionnelle jusqu’en juin 2025, il surprend alors tout le monde en démissionnant du gouvernement pour revêtir l’habit de candidat à la magistrature suprême. Un pari risqué et même audacieux ergotent dans les chaumières de Yaoundé plusieurs observateurs avertis de la scène politique camerounaise.
Le duel des Patriarches
Issa Tchiroma n’a pourtant pas choisi l’adversaire le plus simple : Paul Biya, 92 ans, doyen des chefs d’État africains, encore président après quarante-trois ans de pouvoir. L’un campe dans son palais d’Etoudi, silhouette spectrale d’un régime qui se survit. L’autre, auréolé du soutien fragile d’une opposition hétéroclite, arpente désormais les estrades en prédicateur du renouveau. Le contraste est saisissant : le président sortant, incarnation d’une continuité sans fin, et son ancien ministre, qui se veut l’instrument d’une transition historique.
A gauche, Issa Tchiroma Bakary, ancien ministre et candidat à la présidentielle du 12 octobre 2025 va affronter Paul BIYA
Cette confrontation prend les allures d’un duel de patriarches. Deux habitués de la scène politique nationale qui font leur face à face dans une compétition d’héritage politique. Sans merci. D’un côté, Biya, gardien d’un système de rente et de stabilité autoritaire. De l’autre, Tchiroma, qui reprend le flambeau des martyrs de l’indépendance et se présente comme l’artisan d’une réinvention nationale avec une alchimie bien dosée où toutes les obédiences d’opinion peuvent trouver leurs comptes.
Quel que soit le scénario, le scrutin du 12 octobre sera un moment de vérité pour l’architecture politique camerounaise: simple reproduction de l’ancien, transition historique ou nouveau cycle de frustration. Tout dépendra de la capacité des élites à accepter le principe d’alternance, des citoyens à se mobiliser pour la transparence, et de la communauté internationale à accompagner, plutôt qu’imposer, la sortie de crise. En effet, trois scénarios majeurs pourraient découler du duel Issa Tchiroma Bakary- Paul Biya au soir de la présidentielle camerounaise du 12 octobre 2025.
Victoire de Paul Biya: la continuité verrouillée
Si Paul Biya venait à l’emporter, le Cameroun entrerait dans une phase de «stabilité sous tension». Au risque de s’enliser dans une éternel errement d’usure du pouvoir. Le vieux président, soutenu par un appareil d’État rodé à la mobilisation électorale et au contrôle des processus, consoliderait un règne long de plus de 43 ans. Le malaise populaire, attisé par le sentiment d’usure et l’incapacité du régime à répondre aux urgences sociales et sécuritaires (conflits armés, pauvreté, exclusion de la diaspora), pourrait cependant alimenter une défiance croissante, voire une radicalisation de l’opposition et de la jeunesse urbaine. La répression politique, la fragilité institutionnelle et l’isolement du régime sur la scène internationale risqueraient de s’accroître, exposant le pays à des troubles localisés (zones anglophones, Extrême-Nord) et à une persistance du statu quo autoritaire.
Victoire pacifiée de Tchiroma: le pari de la transition
Une victoire nette et pacifiquement reconnue d’Issa Tchiroma Bakary ouvrirait une séquence inédite. Fort de son engagement à ne briguer qu’un mandat de 05 ans, Issa Tchiroma, qui sait bien manier la langue peulhe, puriste technopolitique et un dur à cuire, proposerait une coalition nationale de transition, un partage inédit du pouvoir avec la société civile, la diaspora et l’opposition, et la préparation d’élections véritablement ouvertes. Le climat politique serait propice à l’ouverture d’un dialogue inclusif (notamment sur la crise anglophone), à l’audit de l’appareil d’État, et aux grandes réformes constitutionnelles qu’il promet. Malgré de fortes résistances de l’appareil RDPC et des intérêts établis, ce scénario pourrait restaurer l’image du pays, mobiliser des soutiens internationaux, et ramener une stabilité par la refondation.
Victoire contestée et instabilité : le spectre de la crise post-électorale
Le scénario le plus redouté, et jugé plausible par de nombreux observateurs, serait une victoire, quelle qu’en soit la couleur, qui ne serait pas acceptée par une partie significative du pays. Des fraudes massives, la marginalisation de certaines régions ou la manipulation des résultats nourriraient des contestations massives et potentiellement violentes, exacerbées par la polarisation ethno-régionale et les fractures sécuritaires préexistantes (Nord-Ouest, Sud-Ouest, Extrême-Nord). Ces tensions pourraient déboucher sur des «villes mortes», des affrontements de rue, voire, dans l’hypothèse extrême, l’effondrement du processus électoral ou l’ingérence des forces de sécurité dans la résolution du litige, replongeant le système dans un cycle de crise institutionnelle et de gel politique. Une telle instabilité renforcerait la défiance populaire, entacherait la légitimité du pouvoir issu des urnes, et freinerait tout processus de réconciliation nationale ou de réforme, laissant le Cameroun dans la spirale des transitions avortées typiques des post-autoritarismes africains.
La stratégie Tchiroma fera-t-elle recette?
Sa force réside dans la dynamique de communication des « symboles ». En se proclamant candidat unique de l’Union pour le changement, il veut dépasser l’émiettement traditionnel de l’opposition camerounaise. Il tente d’offrir à des partis divisés une bannière commune et se place d’emblée dans un registre historique: briser la confiscation de la volonté populaire. Le ton est messianique, parfois théâtral, mais il cherche à donner à sa candidature l’ampleur d’un mouvement national.
Son pari repose sur trois leviers. D’abord, la mobilisation d’une jeunesse en quête de rupture, sensible à ses promesses d’emploi, de modernisation et d’ouverture digitale. Ensuite, l’adhésion de la diaspora, séduite par son engagement sur la double nationalité. Et enfin, la construction d’un récit d’espoir, en opposition frontale au «règne par procuration» qu’il attribue à Paul Biya.
Mais au-delà du discours, la réalité institutionnelle reste implacable. Paul Biya conserve les leviers de l’État et d’un parti, le RDPC, solidement implanté dans toutes les strates administratives et locales. Les scrutins passés ont montré à quel point l’appareil électoral est verrouillé. Tchiroma le sait, et il tente d’anticiper en répétant que «le seul résultat acceptable est celui des urnes».
De plus, sa propre trajectoire pose question: peut-il convaincre qu’il incarne réellement l’alternative, lui qui fut durant des décennies l’un des défenseurs les plus virulents du régime? Sa rhétorique de la rupture pourrait séduire, mais la mémoire populaire n’oublie pas.
Le 12 octobre, le Cameroun aura à trancher: prolonger l’interminable règne de Paul Biya ou tenter l’expérience d’un mandat de transition porté par Issa Tchiroma. Derrière la confrontation de deux patriarches, se joue en réalité le destin politique d’un pays que ses citoyens espèrent délivrer d’une stagnation mortifère.
La bataille sera rude, et la promesse de l’opposition fragile. Mais pour la première fois depuis longtemps, un récit alternatif semble émerger dans l’espace public, entre la continuité d’un pouvoir perclus et l’espérance, même incertaine, d’un renouveau promis par l’un de ses anciens serviteurs et grands commis.
Le Cameroun s’avance ainsi vers une élection qui, quelle qu’en soit l’issue, entrera dans l’histoire comme le duel crépusculaire de deux patriarches pour la présidence.
Par Oussouf DIAGOLA et Chérif Ismael AÏDARA (Confidentiel Afrique)
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