Confidentiel Afrique : Quels sont les modèles innovants de projets énergétiques qu’ADS met en place en Afrique ?
Samba BATHILY, CEO ADS Groupe : Très certainement notre priorité est de démontrer la viabilité du business model que nous avons conçu autour des ‘smart solar ecosystems’ (écosystèmes solaires intelligents) – soit une solution d’accès à l’énergie renouvelable, et d’origine solaire, associée à d’autres infrastructures et services – telles que des accès mutualisés à internet, des services administratifs à distance, des classes connectées, des solutions de mobilité verte avec véhicules électriques.
Nous avons imaginé ce schéma dès 2016 et travaillons depuis deux ans sur différents pilotes.Le plus avancé est le village de Tumba au Rwanda. L’approche est en train de convaincre, parce qu’elle est efficace, à 360° et totalement ajustable aux besoins de la population – là où c’est nécessaire on peut mettre en place un centre de santé digitale, ou un centre de formation agricole et de vente de semences, ou encore un service de microcrédit. Nous sommes membres fondateurs de l’alliance mondiale pour les smart cities et les smart villages en Afrique (Global Alliance for Smart Cities and Villages in Africa – GASCA), lancée lors du One Planet Summit Africa à Nairobi en mars sous l’égide des 20 régions d’actions pour le climat(R20), et avec un certain nombre de grands groupes internationaux qui croient dans le potentiel du ‘smart solarecosystem’.
Après le schéma technique, nous travaillons sur le schéma financier- selon une logique PPP avec investissements préalables du secteur privé et mobilisation de fonds ou subventions publiques, création d’une structure rentable en B2B puis participation progressive des utilisateurs finaux dans le schéma de financement – dès lors qu’ils ont pu, grâce à ces écosystèmes, créer des activités économiques durables leur permettant de générer leurs propres revenus. Nous sommes en train d’avancer sur plusieurs projets et sommes convaincus que ce modèle peut réussir en Afrique, où l’essentiel de la population – 65% – vit encore en zone rurale.
Quel est le regard du PDG Samba Bathily sur l’avenir énergétique africain?
Enthousiaste et inquiet. Enthousiaste, parce que le potentiel en renouvelables se trouve confirmé et parce que nous sommes en train de démontrer la viabilité économique des renouvelables. Pour ce qui concerne les solutions solaires, le prix du panneau ayant été divisé par 5 dans les dix dernières années, on est désormais en mesure de lancer des programmes à beaucoup plus grande échelle ; en ce qui concerne l’énergie hydraulique, des barrages comme ceux lancés en Guinée – Kaléta, déjà en service, et Souapiti, en cours de construction, mais dont le calendrier de mise en œuvre est rigoureusement respecté – envoient des signaux forts dans d’autres régions du continent. Les Africains ont démontré qu’ils avaient compris l’atout dont dispose leur continent dans les renouvelables, qu’ils étaient prêts à acquérir une maitrise technique et qu’ils savaient structurer le financement de projets significatifs. Les voyants sont donc en principe au vert.
L’inquiétude demeure cependant, car, il faut faire en sorte de travailler davantage dans une nouvelle logique.
• D’une part, une logique partenariale – soit davantage de dialogue entre secteur privé et secteur public, pour avancer sur les projets mais, aussi, sur leur suivi, les enjeux de maintenance et de développement de compétences pour créer la génération d’ingénieurs et d’ouvriers dont nous avons besoin.
• D’autre part, une logique transnationale. Le déficit énergétique reste énorme ; il faut donc concevoir des projets à la hauteur des enjeux, mais seuls les projets transnationaux sont aujourd’hui assez substantiels pour attirer le volume d’investissements privés dont on a besoin. On attend donc que les gouvernements réfléchissent davantage à mutualiser les programmes d’infrastructures. La mise en place de la zone de libre-échange continentale africaine, confirmée lors du Sommet des Chefs d’État de l’Union africaine à Niamey début juillet, nous donne une opportunité de travailler autrement. Il faut qu’on la saisisse. L’échelon national n’est plus pertinent, c’est au minimum au niveau des régions qu’il faut structurer. Inga n’est pas un projet congolais mais, au bas mot, un projet pour l’Afrique centrale et australe ; autre exemple, la bande sahélienne nous donne une occasion de penser un développement de fermes et de villages solaires à l’échelon de 5 ou 6 pays. Réfléchissons dans ce sens – car bientôt des entreprises d’autres régions sauront, elles, saisir l’opportunité.
Quels sont les grands chantiers d’ADS à l’horizon 2025 ?
Nous avons un objectif de croissance ambitieux, et d’ici 2025 nous souhaitons avoir doublé le chiffre d’affaires du groupe de 200 à 400 millions de dollars. Nous pensons y arriver en continuant à développer les infrastructures stratégiques pour le continent tout en opérant un basculement accru dans les services associés à ces mêmes infrastructures. C’est dans cette perspective – le renforcement de notre positionnement en tant que groupe polyvalent et intégré – que nous sommes en train d’étoffer nos équipes et nos compétences, et nous avançons dans quatre directions.
• Tout d’abord dans le domaine de l’immobilier, qui nous amène à nous diversifier vers l’hôtellerie. Nous avons lancé une marque, le Dream Hotel Group, avec l’ambition d’en faire une référence dans l’hôtellerie d’affaires. Des hôtels premium conçus ou rénovés par nous, présents dans chacune des grandes capitales africaines, une gamme de services facilitant la mobilité, les transactions financières et les rencontres d’affaires : telle est l’offre innovante que nous sommes en train de tester. Ce secteur sera l’un de nos investissements stratégiques des prochaines années, et, pour le management de cette division, nous allons travailler en partenariat avec un groupe européen de premier plan.
• Le secteur «energy+ services», autour des smart solarecosystems. Les services associés sur lesquels nous travaillons sont en premier lieu l’accès à l’éducation et à la formation, notamment grâce à une démocratisation de l’usage des nouvelles technologies et à la mise en place de cursus professionnalisants, dans les domaines de la programmation, de l’internet des objets et de la blockchain. Nous avons aussi lancé une offre pionnière dans le secteur de la santé, Equally, qui vise à proposer un nouveau modèle de diagnostic et de traitement, associant personnels médicaux disponibles à distance dans les grandes villes et services de santé ‘mobiles’ (traitements et chirurgie) en zone rurale. C’est la santé « jusqu’au dernier kilomètre ». Et ce sont bien l’accès à l’énergie via des solutions solaires ainsi que la possibilité de mettre en place un système efficace de gestion de données dans ce domaine qui nous permettent d’imaginer un schéma aussi disruptif, en collaboration étroite avec les services de santé nationaux.
• Les télécommunications, dans lesquelles nous sommes devenus une référence, en participant à la structuration financière ou au déploiement de plus de 28 000 kilomètres de fibres optiques en Afrique. Nous avons conclu un partenariat stratégique avec le groupe Tata et sa filiale Tata Communications Transformation Services pour œuvrer ensemble au marché commun numérique africain (AfricaSingle Digital Market) défini par l’association Smart Africa; la première étape, dénommée ‘pool numérique ouest-africain’ et conduite en partenariat étroit avec la République de Guinée et la République du Sénégal, vise à interconnecter 7 pays au total, soit, en plus de ceux-ci, le Mali, la Sierra-Leone, la Guinée-Bissau, la Côte d’Ivoire, et le Libéria. A terme, l’idée est de dupliquer cette approche et le modèle technique retenu dans d’autres régions africaines, est de structurer avec TCTS et d’autres partenaires des offres de services digitaux sur mesure selon les besoins ; on pense à développer des smart solar ecosystems, des smart cities, des offres de cybersécurité, des services aux entreprises, et aux particuliers (e-government, payment, e-commerce etc.) et aux autorités publiques (notamment pour la gestion des infrastructures déployées).
• Le domaine stratégique de l’identité numérique. Nous avons mis en place depuis 3 ans un partenariat public-privé au Mali en y associant le numéro 1 mondial, Idemia, autour de la fabrication et de la distribution de la dernière génération de passeports biométriques. Ce projet est un succès et ce modèle de concession pour les passeports peut être dupliqué dans d’autres pays.
Propos recueillis à Niamey par Ismael AIDARA et Jean Noël WOUMO
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