
L’enlèvement puis la libération de six ressortissants sénégalais par des groupes terroristes au Mali met en exergue, la fragilité du corridor Dakar–Bamako. Pour les transporteurs sénégalais, qui empruntent chaque semaine cet axe vital, l’insécurité persistante n’est pas seulement une menace pour leurs vies: elle menace aussi un poumon économique de la sous-région. Décryptage de Chérif Ismael AÏDARA
Selon une étude récente du Timbuktu Institute, le Jnim cherche à exercer un contrôle et démontrer son influence pour faire pression sur l’État malien.
Dans un communiqué impénitent, très mal structuré, la ministre des Affaires étrangères du Sénégal, Mme Yacine FALL porte à la connaissance de l’opinion publique que » son département a pris note d’un communiqué de presse de l’Union des Routiers du Sénégal faisant état de l’enlèvement présumé de six (6) ressortissants sénégalais par des groupes armés terroristes opérant au Mali. La communication officielle, visiblement très en retard des faits puisque les otages ont été libérés depuis. Mieux, ce communiqué impénitent et teinté d’un clair- obscur n’infirme les faits, encore moins ne les confirme. L’opération de communication émanant d’un ministère de souveraineté de surcroît peut faire froid au dos et met en lumière l’insuffisance et la pertinence des canaux de renseignements du dit ministère, parallèlement à deux autres ministères que sont : la Défense gérée par le général Birame DIOP et l’Intérieur drivé par un autre général Jean Baptiste TINE. Ces deux ministères stratégiques sont restés aphones depuis que la nouvelle des enlèvements s’est propagée.
Selon des sources locales, rapportées à Confidentiel Afrique, des coups de feu ont crépité hier dans les environs de Kidira à la frontière malienne. Le 1ᵉʳ juillet dernier, le poste-frontière de Diboli, à deux kilomètres de Kidira, avait déjà été la cible d’attaques armées. Point névralgique de l’axe Dakar–Bamako, ce lieu stratégique incarne la vulnérabilité croissante des corridors commerciaux face aux groupes armés actifs dans la région.
Basculement inquiétant qui agace
Cet épisode illustre un basculement inquiétant : les assaillants ne s’en prennent plus seulement aux forces locales mais visent désormais les flux commerciaux et ceux qui les assurent. Ainsi l’alerte des routiers sur l’enlèvement de six transporteurs sénégalais a rapidement fait le tour provoquant une vague d’inquiétude.
Le JNIM a considérablement accru son activité- dans une cadence d’emprise exponentielle en un temps record- dans la région de Kayes au cours des trois dernières années. En 2024, il a multiplié à plus de sept fois des actions violentes dans la région comparées à 2021. Dans cette région de Kayes, le JNIM a attaqué des installations des forces de sécurité, des postes de douane et des convois sur les routes principales menant à Bamako. Les attaques consistent souvent en des raids menés par des hommes armés à bord de véhicules ou en des embuscades en bord de route, notamment à l’aide d’engins explosifs improvisés (IED).
Ces attaques ont principalement visé les forces de sécurité, d’autres acteurs affiliés au gouvernement et des entreprises ou des commerces afin de limiter leur capacité d’action et leur développement. Cette stratégie vise, à moyen ou long terme, à isoler Bamako de sa principale voie d’approvisionnement.
L’axe routier entre Bamako et Kayes est devenu une zone par excellence de circulation du JNIM, selon les témoignages concordants des habitants. Certains d’entre eux soutiennent avoir identifié «certains points de ravitaillement possibles des terroristes dans la région de Kayes» autour de la commune de Dioumara, à l’est de Diéma : Nankoumana (au sud-est de Dioumara), Kaladiango (au sud-ouest de Dioumara), et Mousafa (au nord-ouest de Dioumara).
L’augmentation des activités du JNIM dans le sud-ouest du Mali lui a permis d’accroître son implication dans les secteurs et circuits économiques. Il s’agit notamment de l’élevage, de la contrebande et de l’exploitation forestière. Un volume important de bétail, de bois, d’armes et de drogues est transporté à travers la zone des trois frontières, et le JNIM infiltre souvent ces activités économiques de manière illicite.
Dakar devra renforcer le dernier versant Est du pays
Par exemple, le groupe terroriste est de plus en plus impliqué dans des vols de bétail à grande échelle, en particulier de bovins, à partir de ses zones d’opération au Mali. Il s’est imposé comme un acteur clé de cette activité économique lucrative; ce qui signifie qu’une grande partie du commerce national et transfrontalier lui profite par le biais de ses intermédiaires et relais dans la zone. La situation est similaire dans le secteur du trafic de bois : le JNIM permet aux exploitants forestiers d’opérer dans les zones qu’elle influence ou contrôle en échange d’une prise de part des revenus et bénéfices.
Le JNIM a presque la main mise donc sur les activités économiques nationales de même que le commerce transfrontalier, garantit et détermine les conditions nécessaires de l’acheminement du bois en toute sécurité. Bien que le JNIM n’ait pas encore exploité de manière substantielle les mines d’or de Kayes, ses extorsions de mines d’or dans le nord du Mali et au Burkina Faso indiquent qu’il n’écarterait pas, dans un futur proche, d’en tirer profit. Plus que son activité sécuritaire et de gouvernance de territoires- qu’il essaie de limiter-, l’activité économique du JNIM lui a permis de s’implanter par des circuits commerciaux, contraignant certains commerçants de collaborer indirectement avec lui, y compris par la fourniture de renseignement et l’approvisionnement de ses réseaux actifs ou dormants.
Le JNIM semble être en mesure d’utiliser encore pour longtemps ses réseaux économiques qui se consolident dans la région pour favoriser des connexions transfrontalières nécessaires à son déploiement le moment voulu. Ces réseaux facilitent, déjà, le recrutement et le transport transfrontalier de personnes et de ressources affiliées, en particulier des armes et divers explosifs. Les liens ethniques et de parenté partagés par les communautés transfrontalières, sont susceptibles de contribuer à l’intensification de tels efforts.
Chérif Ismael AÏDARA (Confidentiel Afrique)
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