(II)
Coups d’État en Afrique !
Les risques que le coup n’emporte ses auteurs
L’assertion selon laquelle les révolutions « mangent » leurs enfants est vérifiée en de nombreuses circonstances. Elle est également valable pour les putschs militaires et de nombreux exemples l’attestent. C’est pourquoi, les auteurs de coups d’Etat, même fortement soutenus par les populations, doivent avoir cela à l’esprit. Et ce, pour éviter de figurer parmi les nombreux auteurs de coups de force finalement emportés par les suites de leurs actions. Ce qui, dans leur cas, serait évidement dommageable pour leurs pays respectifs. Dans cette optique, il est souhaitable de rappeler les nombreux facteurs qui finissent par causer la perte des auteurs de coups d’Etat.En essayant d’éviter ces écueils, ou en minimisant leurs impacts, ils amélioreront sans doute les chances d’une sortie par le haut des situations créées par leur apparition sur la scène politique.
Les coups d’Etat, conséquences malheureuses de situations socio-politiques souvent désastreuses, sont presque toujours applaudis par les populations. Cela est fort logique. Le premier risque pour les auteurs de Putschs est de tenir ce soutien pour acquis ou de se tromper sur son niveau réel ou encore ses déterminants les plus pertinents. Ils devraientsuivre attentivement ces différents paramètres et en mesurer objectivement le niveau et son évolution.
Une autre caractéristique des coups de force, est la ruée des profiteurs de tous acabits vers les princes du jours. Dans cette catégorie, il y a d’abord les politiciens sans scrupules et/ourevanchards. Souvent perdants lors des élections, ceux-ci voient dans le putsch une occasion de prendre leur revanche et la seule chance pour eux d’exercer des responsabilités. Il y a également de nombreux acteurs de la société civile à la recherche d’opportunités. Il y a aussi des hommes d’affaires souhaitant garder leurs faveurs et privilèges. Le dénominateurcommun de ces acteurs est la volonté de mettre à profit cette période exceptionnelle pour améliorer leur sort personnel. Ce qui est évidemment aux antipodes des attentes populaires. Avec de la lucidité, les décideurs sauront très facilement identifier ces fossoyeurs du changement. Il faudra ensuite avoir le courage de les tenir à distance. Ce qui n’est pas aisé,car ils figurent généralement parmi les soutiens les plus audibles et les plus visibles des coups de force.
La famille, les proches, les camarades de promotion, les différents liens sociaux des auteurs du putsch agissent souvent pour les persuader de garder le pouvoir car, selon eux, ils peuvent, seuls, sauver la nation. Ce mythe du sauveur qui a perdu moults dirigeants civils peut facilement rattraper les militaires. D’autant plus que les pays concernés sont face àdes dangers sécuritaires significatifs. Les putschistes doivent davantage intégrer la complexité de nos pays, de nos sociétés et de leurs contextes. Ils doivent avoir l’humilité de reconnaitre que la période exceptionnelle pendant laquelle ils exercent leur magistère est aussi remplie d’incertitudes. Par définition, ils n’ont pas préparé leur accession à ces hautes fonctions et ne disposent pas de projets détaillés pour faire face à tous les défis des pays concernés. Ils ne sont pas familiers avec les réseaux de pouvoir et les systèmes administratifs et publics qui gouvernent nos collectivités et encore moins aux rapports quelques fois complexes avec la société ainsi que les négociations et compromis à construire à chaque instant pour faire avancer les chantiers. Autrement dit, ils doivent savoir que ce n’est pas simple !
La période d’exception consécutive au coup d’Etat est une période d’opportunité pour de nombreux autres adeptes du clientélisme et des fraudes de toutes sortes.
Les repères étant brouillés et les hiérarchies diffuses, des citoyens seront tentés d’utiliser leurs relations pour obtenir desnominations complaisantes de proches ou la poursuite des pratiques malsaines au détriment des ressources publiques.Autant de faits reprochés aux régimes défunts. Il convient de prendre garde à cela.
Les réseaux sociaux et internet ont démocratisé l’information mais également les fausses nouvelles, la propagande et les accusations non fondées. Ils sont mis au service de politiques de désinformation, de manipulation et de nombreux arrangements avec la vérité. Cette dernière finira par s’imposer et la réalité rattrapera immanquablement les menteurs de tous acabits. Les dirigeants militaires des transitions politiques doivent intégrer cela et éviter soigneusement d’inscrire leurs actions dans ces directions sans issue.
Dans la même veine, il existe une forte tentation d’utiliser les ressentiments populaires à l’égard des organisations internationales ou des puissances étrangères. Tirer sur cette corde, au motif de quête de souveraineté, peut amener le pays à se détourner de ses partenaires et s’inscrire dans une voiedifficilement tenable. Surtout que ces décisions sont souvent prises sous le coup de l’émotion sans véritable stratégiemurement réfléchie. Le coup d’Etat est intrinsèquementsynonyme de fragilité. Ajouter de la fragilité à la fragilité peut impacter les populations et les amener à constater que l’espoir suscité accouche finalement de désagréments supplémentaires.
Les insatisfactions populaires peuvent conduire à des contestations. Les forces socio-politiques peuvent s’opposer àl’ordre militaire ou militaro-civil issu du coup d’Etat. Face àces initiatives, il existe des risques de réactiondisproportionnée des forces de l’ordre pouvant constituer des dommages majeurs. Il en est également des nombreuses tentations attentatoires aux libertés, les intimidations contre les médias ou les leaders d’opinion, l’instrumentalisation de la justice, etc. En résumé, la période exceptionnelle peut ouvrir la voie vers l’autoritarisme, ce qui serait une erreur importantecar les populations, bien qu’ayant souhaité le putsch, peuventrejeter les atteintes éventuelles aux libertés.
Il existe enfin des risques réels de tension au sein des cercles militaires dirigeants. Les nominations de certains à des postes prestigieux aux dépens d’autres plus méritants, les frustrations de militaires sur le terrain face à d’autres confortablement installés dans les bureaux climatisés, les pressions de toutes parts face à l’adversité inhérente aux responsabilités dans un contexte difficile, constitueront des sources de tensions entre les dirigeants. Le risque de réplique et de rupture est réel. Il est souhaitable d’en avoir permanemment conscience et donc de travailler à les minimiser.
Cette période exceptionnelle peut ainsi se révéler rapidement dangereuse pour ses dirigeants. S’ils sont conscients de ces pièges, ils peuvent les éviter et achever leur mission de manière heureuse pour leurs pays et pour eux-mêmes. Ce sera l’objet du volet III de la présente contribution.
(III)
Les Coups d’État en Afrique
Comment en sortir de manière heureuse ?
Les responsables de juntes militaires l’affirment tous dans leurs déclarations. Les transitions qu’ils ouvrent constituent des parenthèses destinées à être fermées. Ils savent que le temps des régimes militaires est révolu et qu’il ne sera pas possible de poursuivre indéfiniment l’expérience, même à la demande des populations. C’est pourquoi ils retiennent des chronogrammes vers la fin de la période transitoire. Ils sont également conscients que la façon de sortir du pouvoir déterminera pour une large part leurs perspectives personnelles. Pour que la période d’exception soit gérée au mieux et qu’elle s’achève dans les meilleures conditions possibles, certains actes doivent y être posés et quelques étapes majeures sont à franchir.
Une junte doit avoir un souci majeur et constant pendant toute la période de la transition, à savoir la quête de l’unité de la Nation autour des dirigeants et de leurs objectifs. Cettepériode ne doit pas être politique ou perçue comme étant contre un quelconque acteur. Elle est particulière, non constitutionnelle, et sa caractéristique principale doit être la quête du consensus et de l’unité des forces vives. Dans le choix des hommes comme dans la fixation du cadre de travail, les dirigeants doivent avoir à l’esprit de rassembler.
La neutralité et l’équidistance vis-à-vis des acteurs politiques est un facteur d’unité. Les militaires ne sont pas des politiques et sont étrangers au fait partisan. Dans leurs actes de leaders de la transition, ils doivent avoir constamment ce principe cardinal à l’esprit. Ainsi, un exécutif constitué de cadres compétents et non partisans est une piste intéressante à explorer. Les acteurs politiques peuvent être membres duparlement de transition et animer les cadres de concertation avec les forces vives.
Dans la mesure du possible, les organes de transition doivent avoir un visage civil. Les militaires peuvent y exercer d’importantes prérogatives, telle que la prise en charge des secteurs relevant de leurs domaines d’activité, avec pour objectif une transition civile. Nos pays regorgent depersonnalités d’envergure qui peuvent occuper ces fonctions.
L’organe exécutif formé sur une base de compétence et de désintéressement est gage d’une gouvernance de rupture et d’efficacité. Ce qui est de nature à renforcer la confiance des populations, marquant une rupture avec le passé. Il est souhaitable que cette rupture soit poursuivie jusqu’à la composition des cabinets ministériels et la désignation des responsables d’administrations. En étant transparente et objective dans le choix des dirigeants, la transition balisera utilement le chemin vers des réformes qui rendront ces actes irréversibles pour les pouvoirs futurs.
Les principaux décideurs de la transition doivent être des personnalités de compétence et de réputation incontestables. Ils doivent procéder à la déclaration et à la publication de leurs biens, être transparents sur leurs parcours et leurs actes de gestion. Ils doivent faire montre de rupture dans lacommunication avec les citoyens, être accessibles, humbles et véridiques. Ce qui assurera l’adhésion des citoyens.
La feuille de route de la période doit avoir un contenu clair, avec des objectifs précis et mesurables dans le temps. Un dispositif de communication permettra de suivre, à intervalles réguliers, la mise en œuvre du processus. Il s’agit à ce niveau de rassurer les populations et les partenaires sur la fermeté à respecter les engagements pris.
Dans le cadre de la feuille de route, certaines actions de réforme seront indispensables à conduire. Ceci pour permettre de baliser le chemin d’un redressement du pays et surtout, pour éviter que les démons du passé, à la base des coups de force, ne ressurgissent ultérieurement.
En fonction des contextes, une réforme constitutionnelle peut être envisagée pour aller notamment vers une démocratie plus aboutie, un meilleur équilibre des pouvoirs avec une réductionde ceux du Président ou encore l’obligation de reddition des comptes des responsables aux populations.
Les réformes électorales seront incontournables. Nous devons avoir plus de transparence autour de nos scrutins. Il est nécessaire d’aller vers une diminution drastique du poids de l’argent dans nos jeux politiques. Il convient d’instaurer lesdébats entre les candidats à tous les niveaux et placer les projets au cœur de la compétition électorale.
Des réformes sont à envisager dans le système degouvernance. A tous les niveaux, les responsables doivent rendre des comptes avec la possibilité de les sanctionner. Ainsi le pouvoir d’abréger le mandat des élus (Président, maire…) doit être donné au peuple. En ce qui concerne les services publics, les systèmes d’évaluation par les usagers sont à mettre en place avec un impact sur la carrière des agents. Il s’agira en quelque sorte de remettre la satisfaction des attentes des populations au cœur de l’action publique et de soumettre les élites à leurs mandants.
En matière de justice, la période transitoire peut être mise à profit pour améliorer la transparence sur son fonctionnement et faire accélérer le traitement de certains dossiers emblématiques afin d’améliorer la confiance des citoyens en l’institution judiciaire.
En fonction du contexte, d’autres réformes peuvent être envisagées. Celles présentées précédemment forment le paquet minimum nécessaire pour améliorer la gouvernance denos pays.
Les autorités de transition doivent enfin organiser les électionsavec le souci de la participation de tous les acteurs et des efforts de transparence sans précédent. Elles doivent envisager une forte implication des partenaires et des organisations internationales pour accroître la crédibilité du processus et donc des résultats. Ce qui sera d’autant mieux acquis si leurneutralité et leur équidistance ne sont pas prises à défautpendant le processus. Il est évidemment souhaitable que les acteurs de la transition ne soient ni candidats ni soutiens de candidats dans le processus qu’ils arbitreront.
En ce qui concerne la question des délais de la transition, cela est fonction des contextes et des pays. Une durée d’un à deux ans peut être suffisante pour mettre en œuvre le minimum nécessaire indiqué.
Durant la période transitoire, il est souhaitable que des relations saines et véridiques soient instaurées avec les partenaires. La clarté des intentions et la résolution dans la conduite des tâches faciliteront cela. Il est égalementsouhaitable que les partenaires et les organisations internationales aient une appréciation objective de la situation des pays et fassent preuve de patience et de souplesse à leur égard. Cela est tout à fait possible sans se départir de l’objectif final de restauration démocratique. C’est avec le concours de tous que la transition réussira et chacun y a un rôle à jouerpour l’intérêt suprême de nos populations.
Par Moussa MARA, ancien Premier ministre de la République du Mali
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