
Par Mohamed Ould Cheikhna, Expert mauritanien dans le développement et les stratégies
L’Espagne, héritière d’un passé pluriel et d’une position géographique unique, se trouve aujourd’hui à un tournant stratégique. Face aux bouleversements géopolitiques, notamment les incertitudes générées par l’ère Trump et les récentes évolutions au monde arabe, Madrid pourrait choisir de réactiver une dimension oubliée ou negligée de sa diplomatie : un dialogue privilégié et assumé avec le monde arabo-musulman.
Un choix audacieux mais réfléchi
Ce choix ne serait ni une rupture, ni un saut dans le vide, mais un geste audacieux, réfléchi et porteur. L’Espagne, depuis toujours, se situe à la croisée des histoires. Héritière de Cordoue, « la Damas de l’Occident », elle partage avec la Syrie omeyyade cette mémoire d’un âge d’or culturel et scientifique. Mais cette référence historique doit être équilibrée avec la proximité immédiate et tangible du Maghreb, premier espace de contact humain, économique et stratégique.
Les projets d’infrastructure, comme le tunnel envisagé sous le détroit de Gibraltar vers le Maroc, ne sont pas de simples symboles : ils annoncent une liaison physique et civilisationnelle qui pourrait devenir l’une des artères majeures du XXIe siècle.
Un rôle pivot pour l’Espagne dans le monde arabe et au-delà
Dans un contexte international bouleversé, marqué par les incertitudes liées à la politique étrangère de Donald Trump et les nouvelles dynamiques au monde arabe, l’Espagne pourrait se positionner comme un pont méditerranéen, agissant comme un médiateur entre l’Europe et le monde arabe. Ce rôle pivot renforcerait sa stature dans les dossiers internationaux sensibles : la stabilité du Maghreb, la question palestinienne et la coopération énergétique (gaz, hydrogène vert).
S’inspirer de la Turquie : un modèle pour l’Espagne ?
Ce repositionnement trouve un modèle d’inspiration dans la politique étrangère de la Turquie. Longtemps marginale, la Turquie a su sortir du statut de « nain diplomatique » pour devenir une puissance régionale affirmée, en assumant pleinement ses identités multiples : européenne, moyen-orientale et turcique (Asie centrale). En suivant cette voie, l’Espagne pourrait, à son tour, jouer un rôle central dans les dynamiques géopolitiques du XXIe siècle.
Tout comme la Turquie, l’Espagne pourrait embrasser pleinement ses identités multiples, non seulement européenne et arabo-musulmane, mais aussi latino-américaine. Grâce à ses liens historiques avec l’Amérique latine, notamment par le biais de la langue et de la culture, Madrid pourrait jouer un rôle unique en étant un acteur clé qui relie ces trois régions stratégiques. Cela lui permettrait d’agir comme un interlocuteur central, capable de naviguer dans les complexités des relations entre l’Europe, le monde arabe et l’Amérique latine, renforçant ainsi son influence sur la scène mondiale.
Un possible statut d’observateur à la Ligue arabe voire à l’Organisation de la coopération islamique
Dans ce contexte géopolitique, un rapprochement plus concret avec le monde arabo-musulman pourrait inclure un statut d’observateur au sein de la Ligue arabe et même à l’Organisation de la coopération islamique (OCI). Un tel statut permettrait à l’Espagne d’avoir un pied dans ces instances stratégiques sans renier son identité européenne , et de jouer un rôle d’intermédiaire dans des dossiers cruciaux tels que la question palestinienne, la coopération économique et énergétique, ou encore la gestion des crises régionales. Ce statut pourrait aussi renforcer l’Espagne comme un acteur diplomatique respecté dans le monde arabe, tout en lui permettant de préserver son ancrage dans le monde européen et transatlantique.
«Qui ose gagne» : un pari stratégique
Il s’agit d’oser, mais avec discernement. La formule bien connue « qui ose gagne » prend ici tout son sens. L’Espagne n’a pas à abandonner son identité chrétienne, ni son arrimage européen ou transatlantique. Bien au contraire, il s’agirait d’élargir son jeu diplomatique, de diversifier ses leviers d’influence et de renforcer sa profondeur stratégique.
Ce choix pourrait être d’autant plus fort qu’il s’agit d’une puissance européenne méditerranéenne sans passif sanglant récent. En effet, contrairement à d’autres puissances européennes, l’Espagne n’a pas à porter un lourd héritage colonial dans sa relation avec le monde arabe ou africain. Elle peut ainsi s’implanter dans cette région avec un regard neuf, offrant un modèle de coopération équilibrée, fondé sur l’échange et le respect mutuel, loin des erreurs du passé.
Un choix politique et stratégique audacieux, loin de toute hardiesse irréfléchie, mais qui pourrait, dans un monde en recomposition, offrir à l’Espagne la place qu’elle mérite : celle d’une puissance méditerranéenne d’équilibre, d’un trait d’union entre trois mondes, et d’une voix écoutée dans les grandes négociations internationales.
Dans cette version, l’Espagne est désormais mise en parallèle avec la Turquie en ce qu’elle pourrait embrasser pleinement ses identités européennes, arabo-musulmanes et latino-américaines, jouant ainsi un rôle central dans la géopolitique du XXIe siècle.
Par Mohamed Ould Cheikhna, Expert mauritanien dans le développement et les stratégies
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