Mes séjours en Russie sont généralement agréables depuis que j’ai quitté ma fonction diplomatique dans le pays, mais celui que je viens de passer du 11au 23 mai 2025 à Moscou, à Kazan et à Saba au Tatarstan est encore plus agréable, à tout point de vue.
Invité comme « speaker » ( panelliste) à la 16-ème édition du forum économique international de Kazan dénommé » La Russie et le monde islamique », en ma qualité de Secrétaire général adjoint du Mouvement International Russophile (MIR), j’y suis intervenu aussi comme président du Forum de la Renaissance Africaine (FORA).
A gauche, Souleyanta NDIAYE en entretien convivial à l’ouverture du forum avec le Président du Tatarstan Roustam Minikhanov
Bien évidemment, le citoyen sénégalais que je suis, s’est permis de parler de son pays à chaque fois que se présentait l’opportunité.
Le forum de Kazan a réuni,cette année, environs 22.000 personnes venues de 104 pays et des différentes régions de Russie.
Partenariats et Perspectives PME africaines-Russie
Dans les différents panels, ma première communication a porté sur les possibilités de partenariat entre les PME de Russie et africaines, avec un accent particulier sur l’implication des entreprises installées hors de Moscou, dans les régions et sur le format des joint-ventures.
La seconde communication était une réflexion sur les perspectives de renforcement des relations africano-russes au sein des différentes organisations mondiales comme la FAO, l’Unesco, l’OMS etc.
Des débats assez longs ont eu lieu, particulièrement au cours de ce second panel sur les relations diplomatiques.
Il faut noter, sans trop s’en ennorgueillir, l’attention portée à notre égard après nos interventions en russe alors que la plupart des participants ne s’y attendait pas. C’est un effet de surprise qui pousse beaucoup à s’interroger sur notre parcours, notre pays et c’est avec plaisir que nous répondons à ces sollicitations avec l’intention, mal dissimulée, d’en dire toujours plus sur les sujets soulevés.
C’est aussi ça le charme qui meuble ces rencontres internationales pendant lesquelles on cherche à « vendre » les idées que l’on porte.
Ici les échanges de cartes de visite sont une pratique à la mode. Personnellement, j’en fais de moins en moins. Je préfère plutôt en recevoir et répéter à tous la litanie du « je n’en ai plus… », un petit mensonge mignon que les initiés vous pardonnent toujours avec un joli sourire malicieux…
Entrevue avec le Président du Tatarstan Roustam Minikhanov
Au cours de cette édition, un instant particulier m’a beaucoup marqué: ma briève entrevue avec le Président du Tatarstan, Roustam Minikhanov, à la fin de la cérémonie solennelle d’ouverture du forum.
Dans cette foule compacte où tout le monde cherchait à lui adresser quelques mots, il m’aperçut et se dirigea vers ma modeste personne, le sourire aux lèvres, en me lançant : « merci d’être venu ». Ce à quoi je répondis sans hésiter : » Félicitations Monsieur le Président ! Le MIR est ici à travers ma personne. Mais je suis là aussi pour le Sénégal et pour toute l’Afrique. Le monde est chez vous… J’aimerais bien vous rencontrer encore avant de rentrer… ». Le Président me serra alors la main, le large sourire toujours aux lèvres et me dit » mes portes sont ouvertes »…
Face à la pression de la foule compacte, le protocole et la sécurité présidentiels mirent fin à notre entretien en dirigeant le Président vers la sortie du pavillon principal. Il devait faire le tour des autres pavillons…
Je considère cette rencontre avec le Président du Tatarstan ( Fédèration de Russie) comme une heureuse répétition de l’histoire car ce n’était pas la première fois que je bénéficiais de son aimable attention.
J’ai eu l’honneur de l’avoir rencontré pour la première fois en 2005, lors de la célébration des 1000 ans (oui, mille ans !) de la ville de Kazan.
On venait de rouvrir l’ambassade du Sénégal à Moscou, fermée pour des raisons budgétaires et économiques, en 1995.
Ici j’aimerais bien ouvrir une rapide parenthèse pour saluer la décision du Président Wade de faire revenir le Sénégal en Russie, suite à l’alternance de 2000. J’ai pesé de tout mon petit poids de « philologue russe » pour le convaincre alors de rouvrir cette ambassade dont la fermeture a été une erreur. Pas plus.
Sage Vision du Président Abdoulaye Wade
Je suis fier aujourd’hui d’avoir réussi ce challenge avec la juste compréhension et la sage vision du Président Wade. Pourtant, Dieu sait qu’il y a eu des résistances…Bref, le plus important ici, c’est que le Sénégal est aujourd’hui bien présent en Russie et que nos relations avec ce pays se bonifient progressivement. Je suis heureux d’avoir été celui qui avait mis tous ses œufs dans un seul panier à cette fin. À l’avènement de Wade en 2000, rien d’autre que travailler sur le retour du Sénégal à Moscou ne m’intéressait… Ça a été fait. J’ai eu l’immense bonheur d’avoir effectué cette réouverture avec le Général Mountaga Diallo ( paix à son âme) et le chancelier Abou El Faty Ibrahima Guèye. Parenthèse fermée.
Je suis donc allé participer à cette célébration au nom du Sénégal et sur ordre du Général Mountaga Diallo, ambassadeur.
Je fus l’objet d’égards exceptionnels de la part des services du Premier ministre Roustam Minikhanov devenu Président cinq ans plus tard. Minikhanov a été Chef du gouvernement sous la présidence du sage Mintimer Chaïmiev, devenu aujourd’hui son conseiller spécial. Bel exemple de gouvernance où l’essentiel porte sur l’amélioration des conditions de vie de la population, du progrès économique, scientifique etc. et non sur des préoccupations de compétitions pour conquérir le pouvoir…
Lorsqu’il est devenu Président, j’ai rencontré Roustam (affectueuse appellation) plusieurs fois à Moscou, à Kazan et même à Dakar.
Donc avec lui c’est une longue histoire à transformer en points de rapprochement entre nos peuples qui partagent énormément de valeurs traditionnelles.
Kazan, une ville fascinante
Kazan est une ville étonnante qui se lève à Boulgar ( patrie d’origine des Bulgares) au Tatarstan et se réveille en Russie. C’est la capitale du musulman moderne, tolérant et très attaché aux principes de la sunna.
C’est un endroit où les autochtones font de la place à tous les groupes issus de Russie et de l’ex Union soviétique.
La mosquée Qol Sharif, emblème de la ville, tient la dragée haute au Pont du Millénaire, imposante infrastructure qui rappelle à Kazan ses mille ans d’existence, âge atteint depuis 2005, ce qui signifie que la capitale du Tatarstan totalise aujourd’hui 1020 années de vie.
Pendant le temps du forum, beaucoup de délégations ont bénéficié de charmantes et utiles excursions accompagnées de guides triés sur le volet et à l’expérience avérée. Les intéressés sont unanimes : Kazan est bien une ville du futur ouverte sur les nouvelles technologies qui lui offrent plus d’assurance dans son processus de développement.
Souleyanta ici animant une thématique sur la diplomatie
J’ai eu la chance d’avoir été guidé par deux hauts cadres de l’administration qui n’ont ménagé aucun effort pour me rendre le séjour agréable en me faisant découvrir des choses et une façon de gérer qui donnent à réfléchir.
J’aimerais tellement qu’on fasse autant ou encore plus dans notre capitale !!!
Quant à Saba, c’ est un « raillonne », une sorte de district pas très loin de celui de la capitale, Kazan.
Moi j’y ai passé une journée entière avec son chef, Raïs Minikhanov, en compagnie d’un de mes deux guides, Albert (au prénom duquel j’ajoutais » de Monaco », ce qui le faisait rire drôlement), un haut cadre de l’administration.
Ce qui fait le charme de cette région, c’est d’abord l’ouverture de ses habitants, leur sourire élégant et naturel mais, surtout, leur humilité « militante » comme s’ils s’étaient passé le code d’une telle attitude.
L’association des enseignantes de Saba m’a offert le bonheur d’une discussion animée autour de mon roman « Tavarich Gaye » avec des détails que j’ignorais moi même…
J’ai juste eu la politesse de leur faire comprendre, cependant, que Tavarich Gaye, c’était pas moi, même s’il y avait une forte présence de l’image réelle de ma mère dans le texte, ce qu’elles ont d’ailleurs relevé dès l’entame de nos discussions. Pour être sincère, j’ai compris avec ces enseignantes d’une curiosité intellectuelle admirable, que j’étais l’auteur de quelque chose qui pouvait susciter des discussions, de la passion et des questions sur mon ( notre) identité…Et ça, ça vous rend plus humble et moins euphorique…parce que c’est une lourde responsabilité !
« Tavarich GAYE », le dernier ouvrage critique de Souleyanta Ndiaye
Avec Raïs nous avons visité des établissements d’enseignement supérieur d’une modernité frappante, des centres culturels utilement équipés, des stades et autres sites sportifs aux normes internationales, des fermes, des usines métallurgiques, des centres équestres, et même un grand hôtel-hôpital où viennent se soigner des stars et autres personnes moins connues… en toute discrétion (un endroit paradisiaque!).
Au milieu Souleyanta entouré de deux agents de liaison de la présidence
Mais les charmes de Saba vous les trouvez surtout dans le « dressage » des parcs et jardins entretenus comme dans les contes d’Orient avec des cours d’eau d’une propreté qui vous coupe le souffle (je n’exagère pas!), où le poisson visible semble narguer votre intelligence. Vous avez juste envie de les contempler, de les voir nager sans soucis particuliers. Ici on ne les pêche pas, on dirait.
Les Russes et leur don culinaire à satiété
En tout cas, le soir de mon départ, c’est une interminable table garnie de toutes sortes de gambas, de saumons, de crevettes et d’autres genres de merveilles halieutiques qui a été dressée à mon honneur. Et comme d’habitude, je regrette encore, d’avoir été si modéré dans l’acte de consommer toutes ces savoureuses délicatesses !
Un autre fait inédit a attiré mon attention durant cette belle journée de découvertes passée à Saba : la politesse des enfants rencontrés dans la rue, les parcs et autres places publiques. Dès qu’ils nous apercevaient, ils passaient nous serrer la main puis repartaient tout calmement continuer leurs activités…Je n’ai pas constaté un phénomène pareil chez moi au Sénégal où la politesse et le respect du aux plus âgés sont devenus un luxe rare…
Bref, au delà du privilège et de l’honneur qui m’ont été offerts par ce frère du Président, j’ai partagé à Saba des moments d’une pédagogie sociale que je ne suis pas prêt d’oublier : Raīs Minikhanov, comme son grand frère, est guidé par une seule devise : tout le bien au peuple!
C’est possible et c’est ce que font les dirigeants de ce beau pays qu’est le Tatarstan, bien intégré dans la Fédération de Russie où il joue une belle partition de diversité culturelle et religieuse et où se mène sans trop de bruits un doux combat pour le développement économique, base d’un bien être partagé que je rêve de vivre dans l’espace SÉNÉGAL !.
On retiendra de cette 16-ème édition du forum économique international de Kazan « Russie et monde islamique », la presque parfaite organisation avec comme invité d’honneur le Premier ministre de Malaisie, un homme à l’humour agréable et apaisant. Il a fait rire, à chaque fois qu’il a pu, pour détendre l’atmosphère (et ça, depuis Moscou avec le Président russe Vladimir Poutine dont il était l’hôte officiel, avant son arrivée à Kazan).
On retiendra aussi l’atmosphère conviviale et les panels avec des échanges sérieux et bénéfiques.
Les statistiques révèlent les chiffres suivants :
Plus de 20.000 participants venus de 96 pays et de 86 régions de Russie
.500 médias représentés
.148 sessions d’affaires avec la participation de 8000 experts
.50 délégations étrangères reçues par le Président Minikhanov (entretiens)
.130 accords signés dont 75 entre États étrangers
.Croissance des échanges commerciaux : +44% en 2025 (~163 milliards USD en 2024)
Ces chiffres démontrent l’importance grandissante de cet événement annuel qui contribue fortement au renforcement des liens entre, notamment, les pays de l’OCI.
Conclusion
Une diplomatie d’influence sénégalaise sur orbite
Votre serviteur a pris part au forum en sa qualité de Secrétaire général adjoint du MIR et de Président du FORA.
Le citoyen sénégalais y a bien évidemment parlé de son pays, représenté par l’ambassadeur Stéphan Sylvain Sambou et le Premier conseiller Ndiaga Bèye, jeune diplomate aux compétences confirmées.
M. Abdoulaye Sow, Président de la Chambre de commerce de Dakar était présent à Kazan où il a été reçu par le Président Roustam Minikhanov.
Je dois relever ici le rôle important que joue dans les échanges entre le Sénégal et la Russie, M.Saliou Sampil, un compatriote installé à Moscou et qui ne cesse d’œuvrer au rapprochement de nos deux pays par son implication dans l’organisation de visites croisées de délégations entre Moscou et Dakar depuis quelques années…Il était à Kazan.
De même, il faut noter, pour s’en féliciter, la présence effective du centre culturel russe « Kalinka » de Dakar représenté par ces deux remarquables dames que sont mesdames Larissa Kryukova et Oumy Sene Cosenru.
L’implication des Sénégalais installés en Russie dans nos relations avec ce pays est à encourager aussi.
Il faut surtout aider beaucoup d’entre eux à régulariser leur situation.
Nous n’avons rien à perdre à relever le niveau de notre coopération avec la Russie dans un esprit gagnant-gagnant.
Par Souleyanta Ndiaye
Ex- Ministre- conseiller, chef du bureau économique à l’ambassade du Sénégal en Fédération de Russie
Ex- Premier conseiller à la Délégation Permanente du Sénégal auprès de l’Unesco ( Paris)








