
LE DÉCRYPTAGE DE CHARLES FAYE
Au moment où le monde retient son souffle, craignant que l’offensive militaire israélienne lancée le 13 juin 2025 contre l’Iran pour l’empêcher de disposer de l’arme nucléaire, que la réponse musclée de cette dernière et l’entrée en lice, le week-end dernier, des Etats-Unis, ne fassent le lit de la Troisième guerre mondiale, les autorités sénégalaises ont préféré exprimé une « profonde préoccupation » et leur crainte d’une « escalade » pouvant déstabiliser « toute la région du Moyen-Orient, déjà confrontée à une situation conflictuelle dangereuse ». D’aucuns auraient préféré que Dakar rompe ses relations diplomatiques avec Tel Aviv, ce ne sont pas des appels dans ce sens qui ont manqué, mais le Sénégal a choisi la coopération, comme il aurait pu choisir, à notre goût, de faire des propositions dans le cadre diplomatique, sécuritaire et sociétal pour un retour à la paix. Ce qui lui permis de faire entendre sa voix dans le monde, de prendre le lead sur la communication internationale.
Un défi diplomatique complexe
Il est su de nous tous, que nous le voulions ou non, que le retour à la paix entre Israël et l’Iran s’impose dans le temps et dans l’espace. Qu’il reste au regard du passé et de l’avenir un défi diplomatique des plus complexes de notre époque. Et ce n’est pas demain la veille, que les deux pays fumeront le calumet de la paix si des solutions pragmatiques, intelligentes, issues d’une forte volonté politique des deux côtés et facilitée ne se présentent pas.
Nous aurions aimé que les autorités sénégalaises, ce n’est pas trop tard, proposent la création d’un canal de dialogue indirect sous l’égide d’acteurs neutres en vue d’assurer les bases d’une diplomatie réelle, rigoureuse, proactive et multilatérale. Pilotant le projet au meilleur des cas, personne n’ignore qu’elles sont parvenues au pouvoir à la suite d’une présidentielle libre, transparente et apaisée au moment tous redoutaient le pire pour le Sénégal, nos autorités peuvent proposer que des pays tiers comme la Turquie, la Suisse, Oman accueillent des pourparlers secrets ou semi-officiels.
Les institutions internationales conventionnelles dans l’impasse
La diplomatie se voulant silencieuse, elles peuvent demander de plus l’implication des organisations internationales. L’ONU qui montre ses limites, l’Union européenne, mais également l’Union africaine voire d’autres. La finalité étant de créer des accords bilatéraux discrets sur des enjeux communs aux deux belligérants. Dieu sait qu’il y en a beaucoup. N’oublions pas qu’Israël et Iran commerçaient il y a quelques décennies.
Il est su de tous que la lutte contre le terrorisme sunnite incarné par ISIS préoccupe Téhéran, tout comme nous savons aussi qu’il ne peut avoir d’accords sérieux sans une stabilisation de l’Irak, du Liban, de la Syrie. Pour la simple raison que les deux pays qui se font la guerre actuellement ont des intérêts stratégiques certes divergents, mais aussi des convergences ponctuelles. Qui dit convergences dit marché. De ce point de vue, Tel Aviv et Téhéran ont de quoi, dans cette force de proposition, rétablir de manière progressive des relations diplomatiques d’abord à bas niveau. Le rétablissement progressif s’entendant d’autant plus concrètement s’il commençait par des représentations d’intérêts via les ambassades des pays tiers, évoluant bien entendu selon les résultats. Susciter une telle dynamique et arriver à un tel stade, ferait de l’implication sénégalaise un énorme succès.
Dispositif d’alerte précoce
L’approche sécuritaire n’est pas en reste. La proposition faite voudrait qu’elle soit intelligente pour que la désescalade militaire soit effective. La proposition étant de créer ici un mécanisme régional dont le principe est d’assurer les termes d’une alerte précoce. Ce modèle connu, de type hotline militaire, était en place à l’époque de la guerre froide entre l’URSS et les Etats-Unis. On invente rien. La Deuxième guerre mondiale n’a-t-elle pas laissé un goût amer à l’humanité ?
Ce dispositif d’alerte précoce aurait pour objectif de déboucher sur un système régional de prévention des conflits au Moyen-Orient avec des engagements de non-ingérence. Et pas que ça. Aussi, des engagements réciproques sur le nucléaire.
Ne nous faisons pas d’illusion, l’Iran mettra tout en œuvre pour disposer de l’arme nucléaire et il n’est pas dit qu’elle ne l’obtiendra pas un jour. Autant anticiper cette possibilité et prévenir à un accord élargi sur le nucléaire iranien, avec s’il le faut des garanties régionales incluant Israël. La contrepartie étant le gel d’action militaires israéliennes contre les installations iraniennes. Ce qui veut dire l’obtention d’une signature d’engagement mutuel de mettre fin aux opérations qui alimentent le cycle de violence.
Une telle issue sonnerait comme un moratoire sur les cyberattaques et assassinats ciblés. Cette dernière pratique ne peut prospérer sans provoquer une haine profonde, viscérale. Les choses doivent changer.
Le plan Marshall sénégalais
La proposition sénégalaise peut prendre en compte aussi les dimensions sociétales, culturelles, psychologiques. Les peuples iraniens et israéliens doivent davantage se parler, partager. Cette approche constitue pour nous une clé sur le long terme. C’est dire le travail qui doit être fait sur le terrain de la diplomatie culturelle avec en substrat des échanges académiques discrets.
Le stock d’ingénieurs sortant annuellement des universités de ces deux pays est une aubaine pour eux, constituant des opportunités d’organiser des forums scientifiques. Sans compter les contenus artistiques.
Partagent tous deux un même souci pour l’eau, l’occasion est donnée à Tel Aviv et à Téhéran de favoriser une recherche commune sur l’eau, l’agriculture, le changement climatique qui nous parle à nous tous. Voilà des sujets non-politiques mais ô combien stratégiques pour les deux puissances régionales.
L’un des autres aspects que le Sénégal peut proposer est une lutte conjointe contre les préjugés qui gangrènent les relations entre les deux peuples. La haine doit disparaître et pour ce faire, il importe de soutenir de part et d’autre une production de contenus médiatiques qui déconstruiront les caricatures mutuelles dont les conséquences construisent ce que la zone et le monde vivent ces derniers jours.
D’un autre côté, la diaspora. Il y a à faire aussi avec elle aussi. Cette perspective est d’autant plus envisageable que les diasporas israélienne et iranienne sont présentent dans les capitales les plus riches, Paris, New-York, Londres, etc. A notre sens, elles peuvent et doivent servir de passerelles pour des projets communs.
Nous ne sommes pas dupe. Pour y arriver, il faut un stocks réel et solide de patience stratégique. Savoir qu’aucun accord ne sera possible en un seul round et que des intérêts, par ailleurs, feront tout pour faire capoter une telle initiative. Savoir qu’il faut beaucoup de résilience et accepter des étapes intermédiaires.
Mais n’est-ce pas là la marque des leaders courageux qui savent prendre des risques politiques pour que la paix s’impose et s’installe ?
Nous osons croire que le Sénégal dispose de cette qualité et de ce lead, ce fut le cas, pour lancer une pression internationale coordonnée, non pas pour punir, il n’en a pas les moyens d’ailleurs, mais pour faire réfléchir les grands de ce monde et inciter les deux puissances régionales, à savoir l’Iran et Israël, à coopérer parce que ce ne sont pas incitations économiques, sécuritaire ou diplomatiques, sociétales qui manquent.
Par Charles FAYE, Journaliste, éditeur de presse et spécialiste des médias
(Confidentiel Afrique)
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