
À quelques mois de l’élection présidentielle du 25 octobre 2025, la Côte d’Ivoire entre dans une période charnière de son histoire politique. Entre verrouillages politiques, rejets des candidatures des poids lourds et avenir incertain, ce scrutin, censé consacrer la maturité démocratique d’un pays longtemps secoué par les crises politico-militaires, s’annonce à haut risque.
Alors que le président sortant Alassane Ouattara briguera ou pas un nouveau mandat, plusieurs figures majeures de l’opposition – Tidjane Thiam, Laurent Gbagbo, Charles Blé Goudé et Guillaume Soro – sont écartées de la course.
Par Pierre RENÉ et Mohamed THIOUNE
Cette configuration politique ivoirienne inédite alimente des tensions, des frustrations populaires et des inquiétudes sur la stabilité future de la première économie de l’Afrique de l’Ouest francophone. Sur fond des principales forces politiques en présence, marquées par des repositionnements et exclusions, les cartes restent toujours brouillés.
Le RHDP au pouvoir, une machine bien huilée
Le Rassemblement des Houphouëtistes pour la Démocratie et la Paix (RHDP), dirigé par Alassane Ouattara, reste la principale force politique du pays. Fort d’un appareil d’État puissant, d’un maillage territorial étendu, d’un électorat fidèle dans le Nord et les grandes métropoles, le RHDP part favori dans une compétition qu’il a, selon certains, lui-même balisée. Le parti se présente comme le garant de la stabilité et de la continuité du développement.
Une opposition bridée
Malgré la disqualification de Laurent Gbagbo, le Parti des Peuples Africains – Côte d’Ivoire (PPA-CI) demeure une force politique significative, enracinée dans l’Ouest et certaines banlieues d’Abidjan. Le parti cherche à canaliser la colère populaire, dénonçant l’exclusion de ses leaders et réclamant une réconciliation nationale véritable.
Le PDCI-RDA en quête de renouveau
Le Parti Démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), fondé par Houphouët-Boigny, tentait un retour au premier plan avec la figure technocratique de Tidjane Thiam. Mais la disqualification de ce dernier pour résidence irrégulière a mis à mal les ambitions du parti. Il tente désormais de se repositionner autour de figures de second plan.
Guillaume Soro et les voix de rupture
Guillaume Soro, ancien chef de la rébellion, ex-premier ministre et président de l’Assemblée nationale, comptait se présenter en indépendant avec une vision de rupture. Son exil prolongé et son exclusion sur fond d’accusations judiciaires d’atteinte à la sûreté de l’État confirment la volonté du pouvoir de l’écarter du jeu électoral.
Entre engagement et impuissance
Des mouvements citoyens et organisations de la société civile montent en puissance pour réclamer plus de transparence électorale, de respect des droits humains et d’équité. Toutefois, leur poids reste limité face aux mastodontes politiques traditionnels.
La candidature controversée d’Alassane Ouattara : logique de continuité ou présidentielle à vie ?
Sa candidature serait justifiée par une certaine stabilité, ergotent ses ultra- partisans dans les cercles politiques du PDCI-RDA. Alassane Ouattara, président depuis 2011, va- t-il officialiser sa candidature pour un quatrième mandat. Beaucoup pensent que ADO sautera le gué. Ils arguent que la nécessité de consolider les acquis, de maintenir le cap du développement économique et de préserver la paix, peuvent plaider à sa candidature. Les résultats économiques lui offrent des béquilles solides et de bâtir un argumentaire de campagne favorable à se lancer dans la course.
Le régime Ouattara a affiché une croissance moyenne de 6 à 8 % par an entre 2012 et 2022, des avancées notables en infrastructures, éducation et santé. Le port d’Abidjan a été modernisé, les routes réhabilitées, et la numérisation de l’administration a connu des progrès. Mais cette croissance reste inégalement répartie, avec un taux de pauvreté toujours supérieur à 35 %.
Des critiques récurrentes sur la gouvernance
Les opposants dénoncent une personnalisation excessive du pouvoir, une restriction des libertés publiques, des arrestations arbitraires, la censure des médias, et l’instrumentalisation de la justice à des fins politiques. L’image d’un « démocrate devenu autocrate » se diffuse dans les milieux intellectuels et internationaux.
La disqualification controversée des ténors de l’opposition
Malgré son retour triomphal en 2021 après son acquittement par la CPI, l’ancien président Laurent Gbagbo reste frappé par une condamnation ivoirienne à 20 ans de prison pour l’affaire de la BCEAO. La justice l’écarte du scrutin malgré une forte base populaire.
L’ex-banquier international, Tidjane Thiam, porteur d’un discours de réconciliation et de modernisation, est écarté au motif de non-résidence continue de cinq ans sur le territoire national. Une décision conforme à la Constitution, mais décriée comme politiquement orientée.
Acquitté par la CPI mais toujours poursuivi par la justice ivoirienne, le jeune loup aux dents longues Charles Blé Goudé n’a pas obtenu le droit de se présenter. Il dénonce un système judiciaire au service d’un pouvoir verrouillé.
Exilé en Europe, condamné par contumace pour tentative de déstabilisation de l’État, Guillaume Kigbafori Soro incarne une opposition ferme, radicale et souverainiste. Son exclusion est dénoncée comme une manœuvre pour neutraliser une figure montante et charismatique de l’opposition.
Des lendemains incertains
L’exclusion de figures clés, le contrôle total de l’appareil électoral par le pouvoir, l’absence de consensus sur le fichier électoral, et le sentiment d’étouffement démocratique font craindre des lendemains troublés. Le souvenir des violences post-électorales de 2010-2011 (plus de 3 000 morts) hante toujours les esprits. Urbi orbi, cette présidentielle d’octobre prochain surfe sur les vagues d’un climat tendu et risques de violences.
Des appels au boycott, à la désobéissance civile ou à des manifestations massives sont redoutés. Les chancelleries occidentales et la CEDEAO appellent à la retenue, à l’inclusivité et à un climat apaisé.
Les griefs qui électrocutent les opposants disqualifiés
Sur le plan strictement juridique, les arguments retenus contre les candidatures de Gbagbo, Thiam, Blé Goudé et Soro s’appuient sur des textes légaux pour certains. Mais dans un contexte politique où le pouvoir concentre tous les leviers (judiciaire, parlementaire, médiatique), la légalité apparente ne suffit pas à éteindre les accusations de justice politique.
Les populations, elles, voient dans ces exclusions une stratégie pour éviter une vraie compétition électorale.
Le pesant chaos
Malgré les incertitudes politiques, la Côte d’Ivoire reste un pôle économique régional : deuxième producteur mondial de cacao, elle attire les investisseurs, dispose d’un bon réseau logistique et d’un secteur privé dynamique. Mais cette vitalité économique est menacée par :
– la fragilité de la cohésion nationale
– les tensions interethniques persistantes
– la concentration du pouvoir
– et le déficit de gouvernance inclusive.
Sans un vrai dialogue politique, une justice indépendante, et des institutions équilibrées, la prospérité ivoirienne reste vulnérable.
L’heure des choix historiques
La présidentielle du 25 octobre 2025 est une étape cruciale. Si elle est inclusive, transparente et pacifique, elle pourrait renforcer les bases d’une démocratie durable. Si elle est marquée par la violence, la fraude ou des exclusions arbitraires, elle risque de replonger le pays dans des cycles de tensions et d’instabilité.
Les Ivoiriens aspirent à la paix, à la justice et à la prospérité partagée. La responsabilité historique repose aujourd’hui sur les épaules du pouvoir, de l’opposition, de la société civile et des partenaires internationaux.
Par Ismael AÏDARA et Mohamed Al Amine THIOUNE (Confidentiel Afrique)
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