À ce rythme, on pourrait presque breveter l’instabilité politique à la française. À peine nommé, Sébastien Lecornu a préféré jeter l’éponge aussi vite qu’il l’avait ramassée. Moins de vingt-quatre heures après l’annonce d’un gouvernement en pointillés, voilà déjà un quatrième Premier ministre qui claque la porte du deuxième mandat d’Emmanuel Macron. On croyait avoir connu la « chienlit » que moquait De Gaulle : on découvre désormais la version start-up nation de la crise politique chronique.
Il faut dire qu’entre une Assemblée introuvable, des coalitions en miette et un président transformé en funambule institutionnel, la Ve République ressemble de plus en plus à une IVe qu’on aurait maquillée à coups de communiqués présidentiels et d’euphémismes communicants. Le pouvoir prétend gouverner sans majorité, nommer sans consentement, réformer sans projet — et démissionner sans remords. L’ingouvernabilité installée devient non pas un accident, mais un mode de gouvernance : une sorte de chaos organisé, où l’on gère la crise en la mettant en scène.
Le plus ironique, c’est que cette valse des Premiers ministres donne l’impression d’un gouvernement à durée déterminée, comme si Matignon était devenu un guichet d’expérience pour CV politiques désespérés. Qu’importe la ligne, le programme, la cohérence : l’essentiel est de tenir quelques jours, de passer sur le perron, de sourire sous les flashs avant l’inévitable communiqué de démission.
En réalité, l’État macronien ne gouverne plus, il expérimente. Il tâtonne, improvise, théâtralise même son impuissance pour donner au désordre les airs de la complexité. Dans cette comédie institutionnelle, les acteurs changent, mais le scénario reste le même : un pouvoir qui refuse de se reconnaître affaibli et un pays qui découvre, médusé, que la verticalité jupitérienne a fait naufrage dans une mer de contradictions ministérielles.
L’histoire retiendra peut-être cette période comme celle où la France s’est redécouverte maîtresse du désordre, patrie du débat insoluble et du compromis impossible. « Ni droite, ni gauche », disait-on ; il faudrait désormais ajouter « ni gouvernement, ni gouvernance ». Ce n’est plus la République en marche, mais la République à cloche-pied — vacillante, désorientée, et semblant toujours à un discours de la stabilité qu’on lui promet sans jamais la livrer.
Mais après tout, ne dit-on pas que la France excelle dans l’art ? Voici donc, sous nos yeux, le chef-d’œuvre absolu : une œuvre d’ingouvernabilité, peinte à la hâte, signée d’un président-contemporain et de Premiers ministres jetables. Une toile où les institutions dégoulinent, où la politique se dissout, et où le pays applaudit, mi-consterné, mi-fasciné, le spectacle de sa propre impuissance.
On en viendrait presque à imaginer la politique française comme une comédie de mœurs — un Misanthrope remixé par l’ENA et produit par Netflix. Emmanuel Macron y tiendrait le rôle du metteur en scène persuadé que tout se règle par un bon casting : à défaut de gouverner, il recrute. Autour de lui, des courtisans en costume mal taillé, des technos en quête de rédemption médiatique, et des apprentis volontaires pour incarner l’énième « nouveau départ » d’un mandat qui ressemble de plus en plus à une répétition générale sans première.
À chaque chute d’un ministre, on rajoute un acte à la pièce, et le public — ce peuple qu’on consulte à coups de sondages — oscille entre rires nerveux et bâillements lassés. On ne sait plus très bien si l’on assiste à une farce politique ou à un drame institutionnel. Dans l’esprit de Molière, on rirait volontiers de ces personnages englués dans leurs hypocrisies, si leur incohérence ne finissait pas par coûter cher au pays.
Macron, lui, joue encore au Jupiter égaré, récitant des tirades de rationalité dans un décor en ruine. Il parle de « stabilité », mais change de Premier ministre comme d’application mobile. Il loue « l’efficacité de l’État », mais confond mouvement et direction. Et lorsqu’il promet de « renouer le lien avec la nation », il semble surtout renouer avec son confort d’énarque persuadé que la pédagogie suffira à masquer le vide.
Ah, si Molière voyait cela ! Il en ferait un chef-d’œuvre : Le Gouvernement imaginaire, ou peut-être Les Précieux ridicules de la République. Il peindrait des ministres changeants, des alliances improbables, des discours au souffle lyrique mais au sens évaporé. Et il conclurait sans doute, en éclat de rire : « Ce n’est plus l’État qui gouverne, c’est le théâtre qui gouverne l’État. » Rideau.
Par Oussouf DIAGOLA, Correspondant de Confidentiel Afrique à Bamako et Paris