Le paysage bancaire ouest-africain est secoué par une décision majeure de la Banque Centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO). Le projet de sauvetage d’Orabank, l’un des principaux groupes bancaires de l’espace UEMOA, porté par la Banque Ouest-Africaine de Développement (BOAD), a été retoqué par l’institution monétaire. Enjeux d’une décision aux mplications stratégiques
Ce refus, qui bloque un plan de recapitalisation essentiel pour la stabilité du groupe, n’est pas anodin. Il révèle une tension fondamentale entre la nécessité de sauver un acteur économique important et le strict respect des principes de régulation prudentielle et des mandats institutionnels.
Pourquoi Orabank avait besoin d’un Plan de Sauvetage ? Après moult rebondissements, Oragroup n’est plus cette poule aux yeux d’or. Les tentatives de Vista Bank, propriété du jeune entrepreneur burkinabè Simon Tiemtoré se sont avérées infructueuses.
Orabank, présente dans 8 pays de l’UEMOA ainsi qu’au Bénin, au Niger et en Guinée, fait face à des difficultés structurelles.
Détérioration de la Solvabilité : Le groupe est confronté à une augmentation significative de ses créances douteuses (non-performing loans). La crise économique post-COVID, l’insécurité dans le Sahel qui affecte l’activité économique, et des contre-performances dans certains portefeuilles de prêts ont alourdi son bilan.
Insuffisance de Fonds Propres : Ces pertes ont directement entamé les fonds propres de la banque, la mettant en difficulté pour respecter les ratios prudentiels imposés par la BCEAO, notamment le ratio de solvabilité (ratio Cooke). Une recapitalisation devenait impérative pour éviter des mesures correctives plus drastiques, voire une faillite.
Recherche d’un Investisseur Stratégique : Face à cette situation, les actionnaires historiques d’Orabank (dont le fonds d’investissement Emerging Capital Partners – ECP) ont cherché un « blanc chevalier ». La BOAD, institution financière de développement solide et détenue par les États de l’UEMOA, est apparue comme le sauveur idéal.
Le Plan de Sauvetage BOAD : La Solution Proposée
Le scénario envisagé était un interventionnisme financier direct de la BOAD. L’Interventionnisme de la BOAD : La BOAD devait entrer au capital d’Orabank, très probablement en tant qu’actionnaire majoritaire, en injectant des fonds frais. Cette entrée devait s’accompagner d’une restructuration de la dette et d’un nettoyage du bilan de la banque.
La Logique Perçue: Pour les parties prenantes, ce plan était séduisant :
Pour Orabank: Accès à une source de capitaux stable et puissante, sauvant la banque de l’effondrement.
Pour la BOAD: Renforcer son impact en prenant le contrôle d’un réseau bancaire commercial important, lui permettant de mieux irriguer l’économie réelle.
Pour les États : Éviter un risque systémique. La faillite d’Orabank aurait eu des conséquences désastreuses pour des milliers de clients, entreprises et particuliers, dans plusieurs pays.
La Décision de la BCEAO: Les Motifs Probables du Rejet
Le refus de la BCEAO, bien que non officiellement détaillé, s’appuie vraisemblablement sur des principes réglementaires et de gouvernance fondamentaux.
Le Principe de Séparation des Rôles (Banking vs. Development) : C’est le cœur du problème. La BCEAO défend une vision claire où une banque de développement (comme la BOAD) ne doit pas se transformer en banque de recapitalisation ou en « ambulance » du secteur bancaire commercial. Son mandat est de financer des projets de développement à long terme, pas de combler les déficiences de gestion d’établissements de crédit.
L’Alerte Morale (Moral Hazard) : Valider un tel sauvetage créerait un précédent dangereux. Il enverrait un signal négatif au marché : les banques commerciales pourraient prendre des risques excessifs en supposant qu’en cas de défaillance, une institution publique ou parapublique viendrait à leur rescousse. Cela saperait la discipline de marché et la responsabilité des actionnaires.
Les Risques pour la BOAD
Elle-même : La BCEAO, en tant que superviseur, doit aussi évaluer les risques pour les institutions qu’elle ne supervise pas directement mais qui interagissent avec le système. Injecter des capitaux dans une banque en difficulté expose la BOAD à des pertes potentielles significatives, ce qui pourrait, in fine, menacer sa propre solidité financière et sa notation crédit.
Conformité avec les Standards Internationaux : La BCEAO aligne sa réglementation sur les standards de Bâle et les meilleures pratiques internationales. Ces normes prônent que le sauvetage d’une banque doit d’abord incomber à ses actionnaires existants et, si nécessaire, faire appel à des investisseurs privés spécialisés dans le redressement, et non à des banques de développement dont la mission est différente.
Conséquences et Scénarios Possibles
Le rejet du plan plonge l’avenir d’Orabank dans une grande incertitude et a des répercussions immédiates.
Pour Orabank : Situation de Crise Accrue:
La banque se retrouve sans la bouée de sauvetage sur laquelle elle comptait.
La BCEAO pourrait imposer des mesures correctives plus contraignantes (gel des activités, limitation des distributions de dividendes, cession d’actifs).
Sans recapitalisation rapide, le risque de résolution (équivalent ouest-africain d’une faillite organisée) devient réel.
Pour le Système Bancaire Ouest-Africain : Un Signal Fort :
La décision renforce la crédibilité de la BCEAO en tant que superviseur prudentiel et indépendant.
Elle rappelle à toutes les banques la nécessité d’une gestion saine et que l’ère des sauvetages publics automatiques est révolue.
Elle pourrait entraîner une défiance temporaire des marchés envers Orabank, avec un risque de retraits de dépôts.
Les Scénarios Alternatifs :
Recherche d’un Nouvel Investisseur Privé : C’est le scénario privilégié par la BCEAO. Orabank et ses actionnaires doivent maintenant trouver un fonds d’investissement spécialisé dans le turnaround ou un groupe bancaire international intéressé par une entrée à moindre coût.
Solution Intra-Sectorielle : Une autre banque de la place pourrait racheter tout ou partie des actifs d’Orabank (scénario de rachat).
Intervention des États (Solution Ultime) : Si le risque systémique est jugé trop grave, les États de l’UEMOA pourraient, en dernier recours, s’organiser pour une recapitalisation, mais cela irait à l’encontre de la logique de la décision BCEAO et poserait des problèmes de financement public.
En conclusion, le rejet du plan de recapitalisation d’Orabank par la BOAD est bien plus qu’un simple différend institutionnel. C’est un cas d’école de la gouvernance financière moderne en Afrique. La BCEAO, en opposant son veto, a fait prévaloir la rigueur prudentielle et la séparation des mandats sur la facilité d’une solution interventionniste à court terme. Si cette décision est douloureuse pour Orabank et ses parties prenantes, elle vise à préserver l’intégrité et la résilience à long terme de tout le système financier de l’UEMOA. L’épilogue de cette affaire dépendra maintenant de la capacité d’Orabank à attirer un capitaine privé pour son sauvetage, sous le regard exigeant de son gardien, la BCEAO.
Par Confidentiel Afrique


