
La politique allemande d’après-guerre n’avait jamais porté beaucoup d‘intérêt à l’Afrique. On la ‘cédait’ volontiers aux Anglais et aux Français qui entretenaient beaucoup de relations avec leurs anciennes colonies. M. Horst Köhler était l’exception ; étant Président Fédéral il faisait beaucoup de voyages en Afrique, portait les défis de l’Afrique à la connaissance du public allemand et exigeait une relation d’égalité entre l’Europe et l’Afrique. Son discours était accepté, mais ses interpellations trouvaient peu d`attention.
Quelle est la motivation pour le nouvel intérêt pour l’Afrique?
La Chine est activement présente dans presque tous les pays d’Afrique, y investissant 35 Milliards de Dollars en 2015, et elle a écarté les USA en tant que plus grand partenaire commercial des pays africains. Les Chinois sont en train d’écarter du marché les anciennes puissances coloniales. L’Europe veut sauver ce qui est à sauver.
Ce qui rend l’Afrique intéressante pour les pays industrialisés est sa richesse en matières premières, surtout ses métaux précieux et ses « terres rares » importantes pour toute l’électronique. Une partie centrale de la politique africaine de l’Union Européenne est de s’assurer de l’accès à ces ressources de matières premières.
Les initiatives nouvelles pour l’Afrique ont pour but commun de gagner du capital privé pour les objectifs de développement. La politique financière des USA, du Japon et de l’Union Européenne a inondé de capitaux les marchés financiers qui cherchent des possibilités d’investissements profitables. L’Afrique a en même temps un besoin énorme en capital ; dans le domaine de l’infrastructure seulement, ce besoin est estimé à 100 Milliards de Dollars par an. La solution envisagée est de joindre l’offre et la demande avec le soutien des agences publiques de développement.
Le début proprement dit de l’intérêt renouvelé pour l’Afrique est le nombre croissant des migrants de l’Afrique vers l’Europe. Ce qui fait peur est l’accroissement rapide de la population en Afrique qui selon les estimations de 1,2 milliard d’aujourd’hui pourrait s’accroitre à plus de 4 milliards d’hommes en 2100.
Un projet de G20
Avec ses efforts de donner à l’Afrique une place plus haute dans l’agenda international du développement, le gouvernement fédéral peut jouer un rôle dans les rencontres internationales où l’Allemagne a la préséance et organise l’agenda. Le sommet du G20 regroupant les 20 plus grands pays industrialisés parmi lesquels l’Afrique du Sud (seule représentante de l’Afrique) à Hambourg en juillet 2017 était une bonne occasion pour lancer une nouvelle initiative de développement. Dans un premier temps trois ministères avaient développé des programmes différents mais non coordonnés pour l’Afrique: un plan Marshall avec l’Afrique du Ministère de la coopération économique (BMZ), le Compact avec l’Afrique (CWA) du ministère des Finances et l’initiative moins pertinente Pro Africa du ministère de l’Economie. Le Compact avec l’Afrique a été accepté en tant que nouvel instrument d’une politique africaine du G20. Auparavant les ministres des Finances du G20 avaient signalé leur accord lors de leur rencontre à Baden-Baden. La conférence du G20 pour le partenariat avec l’Afrique au mois de juin à Berlin rassemblait des partenaires africains avec des investisseurs potentiels. Quel est le positif et quelles sont les faiblesses du plan Marshall et du CWA?
Le plan Marshall pour l’Afrique
Au début de l’année le BMZ présentait une initiative sous le titre ambitieux Un plan Marshall pour l’Afrique – Nouveau partenariat pour le développement, la paix et l’avenir. « Nous avons besoin d’un changement du paradigme et nous devons comprendre que l’Afrique n’est pas le continent fournisseur de ressources à bon marché, mais que les gens y habitant ont besoin d’infrastructures et d’un avenir. » Ainsi s’exprimait le ministre Gerd Müller qui appelait par la même occasion les économistes, les scientifiques, les églises, la société civile et les politiciens à un dialogue sur les points clés du Plan Marshall.
Ce document élabore une vision globale et idéale d’un partenariat véritable entre l’Afrique et l’Europe.
Beaucoup d’idées et d’exigences de la société civile allemande et africaine ont été reprises dans ce document. Il est remarquable que la responsabilité des Etats industrialisés pour certains problèmes de l’Afrique soit aussi nommée comme des accords déloyaux de commerce, l’évasion fiscale et les exportations d’armes. Les objectifs essentiels et les priorités sont d’abord formulés selon dix thèmes, et puis des valeurs communes et le progrès attendus sont formulés : « L’accord d’avenir » avec l’Afrique repose sur trois piliers:
– l’économie, le commerce et l’emploi,
– la paix et la sécurité,
– la démocratie et l’Etat de droit.
Une attention spéciale est portée aux domaines suivants: la nutrition et l’agriculture – la satisfaction des besoins de base – l’énergie et l’infrastructure – la santé, l’instruction et la sécurité sociale. Pour chaque domaine, on signifie où les problèmes se situent, ce que l’Afrique a à fournir et ce que l’Allemagne devrait contribuer à fournir ainsi que d’autres Etats au niveau international. En résumé ‘La question la plus importante à laquelle le plan Marshall devrait répondre est comment chaque année créer de nouveaux emplois pour donner à la jeunesse une perspective d’avenir sans détruire l’environnement?’
Au fond, aussi bien l’analyse de la situation que les propositions d’actions sont justes. Le titre de Plan Marshall a cependant entraîné beaucoup de critiques surtout en Afrique et induit effectivement en erreur en ce qui concerne l’ampleur et le financement des programmes. Les conditions de l’Allemagne au sortir de la dernière guerre et celles d’aujourd’hui en Afrique sont bien différentes et le premier plan Marshall était lié à une remise considérable des dettes. L’invitation du BMZ à la société civile à collaborer est exemplaire mais il est difficile de comprendre pourquoi les représentants de l’Afrique n’y sont guère intégrés.
Le Compact avec l’Afrique
Au sommet G20 le plan Marshall n’était pas le point central, c’était le Compact avec l’Afrique qui l’était. De quoi s’agit-il là?
Le Compact contient le mot pacte/accord et ‘com’ signifie ensemble. Les pays du G20 signent un accord avec des pays volontaires. Jusqu’à présent 10 candidats se sont annoncés: Le Maroc, la Tunisie, le Sénégal, la Côte d’Ivoire, le Ghana, l’Ethiopie, le Rwanda, l’Egypte, le Bénin et la Guinée. L’Allemagne va convenir un accord de partenariat d’investissements avec trois pays partenaires, la Tunisie, le Ghana et la Côte d’Ivoire. La tâche du pays partenaire africain est de réaliser des réformes en accord avec les institutions internationales qui rendent le pays attirant pour des investisseurs et de proposer des projets concrets aux investisseurs allemands dans les domaines qu’il juge important: p. ex. l’infrastructure, l’énergie, l’eau, ou l’agriculture.
La partie allemande s’engage à chercher des investisseurs/entreprises potentiels privées et à les promouvoir. Promouvoir signifie: donner les garanties concrètes qui diminuent le risque lié à l’investissement.
A l’intérieur du gouvernement fédéral il y a une répartition du travail: le ministère de Finances accompagne les accords de réformes avec les pays partenaires, communique avec les banques internationales et régionales pour le développement et dirige l’initiative à l’intérieur des procédures du G20. Le BMZ est compétent pour la réalisation des trois partenariats d’investissement avec l’Allemagne. Au Ghana et en Côte d’Ivoire la collaboration concerne le domaine des énergies renouvelables ; en Tunisie la promotion du secteur national des banques et des finances. La contribution concrète du BMZ est ici la diminution du risque pour les investisseurs.
Critique de ces initiatives
Les nouvelles initiatives sont présentées comme une situation de gain pour tous. Les organisations des sociétés civiles en Afrique et en Europe se montrent plutôt sceptiques. Des critiques radicaux doutent que des programmes se basant sur un modèle d’économie néolibérale soient capables de promouvoir un développement durable ; ne feront-ils pas plutôt grandir l’inégalité sociale. En effet, les dix-sept objectifs de développement durable (SDGs) et l’agenda 2030 que la communauté mondiale a décidé depuis peu de temps, ne jouent aucun rôle dans le Compact. Une étude de Südwindcommente: « Tandis que le plan Marshall donne l’espoir d’un début d’ajustement social, le « Compact pour l’Afrique » est vu comme un catalogue de mesures néolibérales avec un mélange déjà connu de privatisations d’entreprises de l’Etat, d’abolition de barrières pour des investissements étrangers, de dérèglement et de libéralisation du commerce ainsi que de réduction du rôle de l’Etat… » Il y a un fort soupçon que ces initiatives concernent moins le développement de l’Afrique que la promotion de l’économie allemande à l’étranger. Le combat contre la pauvreté, l’objectif central de la politique du développement et l’objectif primordial du développement des SDGs ne se retrouvent pas du tout dans le Compact. Ce que les représentants des organismes d’aide des églises critiquent surtout est le manque de critères clairs dans le domaine social et l’environnement et l’absence d’un règlement pour le travail et des devoirs de diligence pour les droits humains. Dans la réalisation concrète des projets, les partenariats publics-privés (PPP) joueront un rôle important. Des expériences en Allemagne et dans d’autres pays montrent que les PPPs ne sont pas sans risque et deviennent pour les volets publics souvent bien plus chers.
La critique du plan Marshall et du Compact vient aussi d’Afrique. Des organisations comme AFRODAD et ADIN craignent que ces initiatives ne soient une nouvelle édition des programmes d’ajustement structurel des années 80 et 90 ou ne fonctionnent comme un ajout aux accords de partenariat économique (EPAs). Il serait important que la société civile en Afrique y soit associée et que les plans d’investissements s’adaptent aux plans de développement nationaux, régionaux et continentaux comme à l’agenda 2063 de l’Union Africaine.
Les investissements par l’industrie privée sont devenus le nouveau sésame de la politique du développement. L’histoire des investissements privés en Afrique, le plus souvent dans le secteur des matières premières, est une désillusion. La part du lion des gains reste auprès des multinationales, les miettes revenant à une petite élite politique locale corrompue. La population en profite rarement et est le plus souvent la grande perdante : son patrimoine lui est arraché et son environnement est détruit.
Les crédits que les pays partenaires africains reçoivent pour financer les projets aggravent leur endettement mais ceci est ignoré aussi bien par le G20 que par le gouvernement fédéral allemand. L’alliance de remise de dette Erlassjahr.de met en garde depuis longtemps devant une menace d’une prochaine crise de la dette. Tous les pays partenaires de l’Allemagne, donc le Ghana, la Tunisie et la Côte d’Ivoire, doivent d’ores et déjà faire face, selon les analyses d’erlassjahr.de, à une crise de la dette. La réception de nouveaux crédits pourrait continuer à détériorer leur situation d’endettement.
D’autres raisons encore font douter que le Compact avec l’Afrique puisse effectivement stimuler le développement dans les pays partenaires. L’intérêt pour les entreprises allemandes d’investir en Afrique est faible. L’Asie et l’Amérique Latine offrent de davantage de chances de succès. De plus, il n’est pas évident que les gouvernements africains aient réellement la volonté de respecter les principes de l’Etat de droit et de combattre sérieusement la corruption, le grand obstacle au développement. Dans les deux dernières décennies il y a eu une bonne douzaine d’initiatives en Afrique qui n’ont pas obtenu les résultats escomptés.
Malgré les réserves, il convient cet intérêt renouvelé pour l’Afrique est le bienvenu. Les gouvernements des pays du G20 voient plus clairement qu’une initiative est nécessaire pour relancer le développement et pour empêcher que toujours plus de pays africains ne deviennent des Etats en faillite. Il faut aussi éviter que toujours plus de jeunes Africains et Africaines suivent des groupes terroristes ou risquent leur vie pour chercher un avenir meilleur à l’étranger.
Le plan Marshal et le Compact avec l’Afrique sont des essais trop peu élaborés d’une nouvelle stratégie de développement et ont besoin de tenir compte plus clairement de l’agenda 2030 des SDG avant d’espérer devenir des instruments effectifs de développement.
Alpha Waly Diallo
Consultant/Chercheur en Relations Internationales
E-mail : alphawally@yahoo.com
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